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venu si prochain. La brillante et spirituelle ambassadrice nous laisse apercevoir la future Mme de Staël.

La lecture du second et du troisième bulletins confirmera cette remarque. Ils sont presque entièrement consacrés à des nouvelles de cour, et on y verra avec quel respectueux scrupule Mme de Staël évite de confondre le roi et la reine avec la société au milieu de laquelle la Providence les a placés. Était-ce pour plaire à Gustave III, qui n’aurait pas, il est vrai, accueilli un langage contraire? Non, assurément, puisqu’il s’agit ici de cette même courageuse Mme de Staël qui, au moment le plus périlleux de la révolution et après la mort de Gustave, a pris en main avec un généreux élan la cause de Marie-Antoinette. Son noble cœur n’avait pas attendu l’instant du suprême danger; elle semblait avoir deviné à l’avance quelles en seraient les victimes, afin de préluder envers elles au dévouement par le respect.


Second Bulletin de nouvelles (août 1786).

« Le voyage de Fontainebleau n’est pas fort animé; le maréchal de Ségur ne fait point de promotions; les ministres restent tous en place; les soupers et les dîners sont les seuls événemens de la journée. On soupe trois fois par semaine chez Mme de Polignac, trois fois chez Mme de Lamballe, et une fois dans les cabinets. La reine vient chez Mme de Polignac et chez Mme de Lamballe à onze heures et joue une partie de billard. Cet amusement est devenu fort à la mode, et les femmes y réussissent assez bien. Les maisons des ministres, du capitaine des gardes, des grandes charges de la couronne, sont assez remplies jusqu’à onze heures et demie; mais à ce moment tout le monde part pour aller dans la maison où l’on trouve la reine. A minuit, l’on sort pour aller passer la soirée ailleurs. Les jeux de hasard y ont été absolument interdits, mais l’on tâche de rendre chers les jeux de commerce. Le jeu est encore le seul secret qu’on ait trouvé pour amuser les hommes rassemblés ou plutôt pour les occuper. Le plus grand plaisir d’une maîtresse de maison est de se débarrasser de tous ceux qui sont chez elle en les enchaînant à des tables de quinze ou de trictrac.

« Il y avait une telle foule à Fontainebleau, qu’on ne pouvait parler qu’à deux ou trois personnes qui jouaient avec vous, et l’on ne retirait du plaisir d’être dans le monde que l’agrément d’être étouffé; mais c’était surtout autour de la reine que les flots de la foule se précipitaient. Il est, je crois, difficile de mettre plus de grâce et de bonté dans la politesse; elle a même un genre d’affabilité qui ne permet pas, d’oublier qu’elle est reine et persuade toujours cependant qu’elle l’oublie. L’expression du visage de tous ceux qui attendaient un mot d’elle pouvait être assez piquante pour les observateurs. Les uns voulaient attirer l’attention par des ris extraordinaires sur ce que leur voisin leur disait, tandis que dans toute autre circonstance les mêmes propos ne les auraient pas fait sourire. D’autres prenaient un air dégagé, distrait, pour n’avoir pas l’air de penser à ce qui les occupait tout entiers; ils tournaient la tête du côté opposé, mais malgré eux leurs yeux prenaient une marche contraire et les attachaient à tous les pas de la reine.