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connue des statisticiens, qui, étant abandonnée à elle-même, perdait peu à peu le souvenir de sa religion et de sa nationalité. Les enfans étaient envoyés aux États-Unis pour y recevoir une éducation préjudiciable à leurs sentimens religieux. J’offris d’aller à Rome soumettre la question au cardinal de la Propagande, et lui demander de diviser ces frontières en missions régulières et distinctes, desservies par des prêtres actifs, zélés, assez nombreux pour fonder des collèges et y donner l’instruction. « Que deviendra le Mexique, lui disais-je, en face de ces Yankees envahisseurs qui lui ont déjà pris le Texas, le Nouveau-Mexique et la Californie, si vous ne fortifiez pas chez les Mexicains le sentiment qui leur tient lieu de patriotisme, le sentiment religieux? Le Mexique possède encore les provinces les plus riches et les plus belles du monde, et la religion catholique lui est une grande force pour résister aux Américains; il ne se laissera jamais gouverner par un peuple protestant. Les États-Unis ont une plaie hideuse qui les ronge, l’esclavage, mal intérieur qui creuse cet arbre trop immense pour résister aux tempêtes, et les tempêtes soufflent violemment dans l’Amérique du Nord. Les jours de lutte et de malheur peuvent revenir. Les hommes intelligens et fiers se lèveront alors : faites en sorte que l’éducation religieuse les ait rendus nombreux, en élargissant les facultés intellectuelles de chacun, en donnant à tous une sérieuse notion de leurs devoirs de chrétiens et de citoyens, en leur faisant sentir, par une connaissance plus exacte des principes de l’Évangile et de la morale, toute la dignité de l’homme, en leur apprenant à rendre non-seulement ce qu’ils doivent à Dieu, mais aussi ce qu’ils doivent à César, c’est-à-dire au pays. »

Don Emmanuel Robbles me donna des lettres de recommandation pour le ministre mexicain à Rome, et le général Arista y joignit une lettre signée de lui. À ce moment, j’étais hors d’état de continuer mes fonctions; les spasmes nerveux, les évanouissemens, les crachemens de sang ne me permettaient plus la moindre fatigue. Trois prêtres des oblats de Marie devaient me remplacer au mois de septembre; je partis au moment de leur arrivée, et je touchai bientôt les rives de France. Après quelques jours passés dans ma patrie, je me rendis à Rome. Mon plan fut approuvé, mais je ne pus y donner aucune suite. Les infirmités me retinrent longtemps sous le beau ciel d’Italie; puis la science médicale déclara que ma carrière active était terminée, terminée, hélas ! à l’âge où la plupart de mes confrères, plus robustes ou plus prudens, ont à peine commencé la leur. Et maintenant, aux heures de solitude, les souvenirs du passé se groupent tristement devant ma pensée, comme des tableaux toujours présens, mais qui s’éloignent peu à peu pour ne plus revenir.


E. DOMENECH.