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toute condition. Un tel peuple n’aurait jamais adopté pour symbole de sa domination l’immobile Capitole. Il semblerait au premier abord que ce sentiment de la race dût être moins fort que celui qui provient de l’attachement au sol, et cependant il n’en est rien. L’orgueil du sang établit entre les Anglais de diverses classes une franc-maçonnerie occulte qui se traduit par une solidarité étroite et forte. Ils se soutiennent mutuellement dans les grandes et petites choses avec une âpreté qui quelquefois frise l’injustice et l’abus de la force. C’est surtout dans leurs relations avec l’étranger que cette solidarité apparaît sous son aspect révoltant ; ils n’ont aucune pitié pour son ignorance des usages nationaux, aucune justice pour ses réclamations ; l’étranger est, dirait-on, en dehors de la loi anglaise. C’est une opinion reçue sur le continent qu’un procès engagé en Angleterre se terminera toujours au détriment de l’étranger. « Ils se soutiennent tous comme larrons en foire, » disait un artisan qui revenait d’Angleterre, avec la naïveté d’un homme qui ne sait pas raffiner sur ses impressions. Or ce patriotisme à la fois très matériel et très moral est précisément propre à toutes les races germaniques. Cette patrie qui coule dans le sang est la seule qu’elles possèdent. Seulement l’orgueil de la race a été poussé par les Anglais plus loin que par aucun peuple, à l’exception des Juifs. Les autres peuples, à mesure qu’ils se civilisent, perdent rapidement le souvenir de leur origine et sont réunis par des liens plus souples et moins matériels ; un Français ignore parfaitement qu’il est d’origine celtique, mais le dernier mendiant anglais sait qu’il est Anglo-Saxon, et il s’en vante. Dans ce patriotisme, nous retrouvons encore l’esprit barbare, exclusif de leurs ancêtres, cet esprit de race qui jadis poussa les Saxons à refouler et à massacrer les Celtes plutôt qu’à se fondre avec eux, qui a depuis si bien réussi à dépeupler et à subjuguer l’Irlande sans conquérir autre chose que ses haines, qui tient les populations de l’Inde si bien séparées des colons anglais, qu’il n’est pas à craindre que leur commerce ait pour résultat de créer un nouveau peuple, qui a diminué enfin d’une manière si sensible le nombre des indigènes d’Amérique et d’Australie.

À propos de ce patriotisme, disons, en manière de parenthèse, que l’orgueil national anglais n’est guère moins insupportable pour un esprit bien fait que la vanité nationale des Français. Si le patriotisme français a pour effet inévitable d’agacer les nerfs, le patriotisme anglais vous étourdit comme une solide migraine. Il entre une forte dose de pédantisme dans la manière dont ce peuple exprime sa satisfaction nationale. La vanité du Français ne s’applique presque jamais qu’à son histoire passée ; avec lui, on a du moins cette ressource qu’il dira sans se gêner tout le mal possible de l’état présent de son pays ; il va calomnier sans se faire prier ses concitoyens et son gouver-