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Je fais cas de ce genre de politesse depuis que celles qu’on me fait n’ont plus de rapport à moi.

« Les bals de la reine ont été fort brillans cette année. La salle est arrangée comme un palais des fées; les jardins du Trianon y sont représentés, et des jets d’eau jaillissent sans cesse; les idées champêtres, les rêveries qu’inspire la campagne dans l’été se mêlent à l’éclat du plaisir et au luxe des cours. Dans une autre salle, on trouve des récréations peu pastorales, un jeu forcené. Un jeune M. de Castellane a quitté la maison paternelle pour avoir perdu toute sa fortune dans une soirée. Cependant la reine donne l’exemple de la modération, et ce n’est pas pour lui faire sa cour que l’on se ruine; mais les joueurs s’ennuient de toute autre occupation, ils trouvent tout insipide, ils ont pris l’habitude des grands mouvemens, ils ont besoin des dangers.

« Sedaine, par pitié, vient d’être nommé de l’Académie. Ces messieurs disent que c’est par considération pour son âge, on dirait qu’ils sont une société de bienfaisance et qu’ils donnent la préférence aux octogénaires; mais Sedaine a tant amusé le public sur les trois théâtres, qu’il méritait une récompense.

« Voilà un poème de M. de Florian : Numa Pompilius. De l’arlequinade à ce genre il y a un peu loin. Ses législateurs et ses guerriers sont des bergers en robe et en casque, mais on y trouve de l’agrément dans le style; c’est un livre innocent, et, comme disait Mme du Deffant, il n’y a point de mal à avoir fait cela... »


Ces derniers mots sont bien dits assurément, avec finesse, avec esprit. Tout ce qui concerne la reine, sa grâce sévère et son amour maternel, est discrètement touché, comme par une femme et par une mère. Nous trompons-nous en croyant que ces pages si naturelles et si sincères ne sont pas indifférentes à qui veut bien connaître Mme de Staël? C’est ici la source d’un talent qui va grandir et s’épandre, mais en s’agitant, en se troublant peut-être.

Le quatrième bulletin est de 1787. Il donne de plus que les précédens certains détails sur les querelles religieuses de ces années si inquiètes. Il y est question de l’édit pour l’état civil des protestans et de l’opposition qu’il rencontre. On y voit les intrigues de ce duc d’Orléans qui commençait à offrir autour de lui un point de ralliement aux mécontens de toute sorte et aux partisans des nouveautés. Il semble que Mme de Staël, à mesure qu’elle approche du moment fatal où tout l’édifice va crouler, rencontre involontairement sous sa plume, et sans que le caractère général de sa correspondance s’altère de propos délibéré, de plus graves sujets de récit ou d’anecdotes, et de funestes symptômes à la place des épisodes plaisans ou enjoués qu’elle citait tout à l’heure. Les premières lignes du nouveau bulletin annoncent suffisamment les préoccupations nouvelles.