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géant à Calcutta, et composé du gouverneur-général et des cinq membres du conseil suprême de l’Inde.

Au milieu des grandeurs de ce monde dignes d’exciter l’envie, de tenter les efforts d’un homme vraiment ambitieux que le hasard de la naissance n’a pas placé sur les marches d’un trône, il n’en est pas assurément qui puisse entrer en comparaison avec la position de gouverneur-général de l’Inde anglaise. Tout ce qui peut satisfaire la vanité humaine, l’instinct du pouvoir, le noble désir d’être utile à ses semblables, se trouve réuni dans cette vice-royauté, qui commande à une armée de trois cent mille hommes, gouverne un territoire plus vaste et plus peuplé que le plus grand empire de l’Europe, administre un revenu de plusieurs centaines de millions, et dispose de plus d’emplois richement dotés que ne le fait le tsar de toutes les Russies. Quel plus noble champ d’ailleurs ouvert à toutes les facultés humaines que les intérêts si divers de cet empire où la civilisation du XIXe siècle se trouve incessamment en présence de la barbarie des premiers âges, et dont le chef suprême, après avoir examiné une des questions les plus délicates de l’économie politique, décidé du parcours d’un chemin de fer ou d’un télégraphe électrique, doit souvent à la même table, sur un carré de papier voisin, formuler un code de lois pour des populations plus sauvages que ne l’étaient les Gaulois au temps des druides, donner des ordres pour arrêter l’infanticide, passé dans les mœurs, ou les sacrifices humains!

Les pouvoirs du gouverneur-général sont absolus, et sous sa propre responsabilité il peut prendre toutes les mesures qui lui semblent nécessaires jusqu’à ce qu’il ait reçu les ordres de la cour, ordres auxquels il est tenu d’obéir sous peine de haute trahison. Le conseil suprême n’exerce pas même sur les décisions du gouverneur-général un droit de veto, et ses attributions sont clairement définies par la formule officielle des documens indiens, — le gouverneur-général en son conseil (the governor general in council), et non pas le gouverneur-général et son conseil (the governor general and council), — qui prouve assez que les résolutions du gouverneur-général sont prises à la connaissance des membres du conseil, mais que leur adhésion n’est pas nécessaire pour qu’elles puissent être mises à exécution. Le conseil suprême depuis plus de vingt ans n’a pas joué un grand rôle dans l’histoire de l’Inde : il est exclusivement recruté dans l’administration ou l’armée de la présidence du Bengale. Chacun de ses membres, quelque utile et brillante qu’ait été sa carrière, ne saurait jouir auprès des autorités métropolitaines, qui jugent en dernier ressort de tout conflit entre les autorités subordonnées, de l’importance personnelle nécessaire pour servir de contre-poids à l’influence d’un gouverneur-général, personnage qui à sa haute position officielle a toujours réuni la double autorité de talens éminens et