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protestans ont eu des torts, et s’efforce de faire trembler sur les suites funestes de la tolérance. Le but une fois supposé, l’ouvrage n’est pas mauvais, et, si l’on pouvait oublier qu’il est absurde, on le trouverait assez bien raisonné; mais ce qui m’a véritablement étonnée, c’est qu’il y a quelques personnes sur l’esprit desquelles il a fait impression. On croit tout son siècle éclairé quand la société qui nous entoure n’a plus de préjugés, mais la moitié de la France est peut-être encore dans les ténèbres de la superstition. Les progrès de ceux qui ne lisent pas ne sont pas même l’ouvrage des siècles; le peuple change ses opinions, mais ne les modère jamais. Je joins à ce pieux mémoire, commandé par la maréchale, et qu’elle a porté chez tous les magistrats du parlement en leur laissant un petit billet conçu dans ces termes : Madame la maréchale de Noailles est venue chez M. Le conseiller pour lui recommander la religion et les lois dont le parlement est dépositaire; j’y joins, dis-je, l’excellent mémoire de M. de Malesherbes, aussi savant que raisonnable : c’est un des hommes les plus éclairés de France et très propre sans doute à être ministre sans département, mais il convient lui-même qu’il lui manque le caractère qu’il faudrait à son esprit. Ce qu’il dit, il faut qu’un autre le fasse. »


Voilà ces quatre premiers Bulletins, série d’anecdotes, d’aventures, d’épigrammes et de jeux de mots; mais ce n’était pas à ce mince profit, disions-nous, que se bornait, pour l’esprit sérieux et clairvoyant de Mme de Staël, l’observation des dernières années du XVIIIe siècle. Ce n’est plus assez en effet de quelques symptômes d’un temps plus troublé qui se font jour çà et là dans les derniers morceaux que nous venons de citer. Nous sommes en 1787. M. Necker a été appelé aux affaires, les notables ont été convoqués. Il est clair que l’orage qui menace est désormais aperçu par bien des yeux. Mme de Staël n’y reste pas aveugle. Les premiers périls de son père l’instruisent, et elle a déjà eu à le défendre auprès de Gustave III contre ses revers.


« Je suis étonnée, a-t-elle écrit de Moret le 29 mai 1787, qu’il ait pu s’élever des disputes sur des démonstrations arithmétiques, je concevrais plus aisément celles dont les idées métaphysiques ont été l’objet; mais heureusement mon père a trouvé le moyen de confondre les fausses assertions qu’un homme maintenant perdu avait osé faire contre lui. J’avouerai que je ne serais pas consolée si des vérités intéressant son honneur n’étaient pas susceptibles d’une démonstration plus claire encore que celles des meilleurs défenseurs des mystères saints. Mon père a été exilé pour s’être cru le droit de se défendre publiquement contre un homme à qui il avait été permis de l’attaquer de même. Les mots peuvent quelquefois changer de sens suivant leur application, et l’exil est un honneur quand c’est ainsi qu’on l’a mérité... »


Et lorsque M. Necker a été rappelé au ministère, Mme de Staël adresse au roi de Suède, le 4 septembre, ces paroles prophétiques : « Dans d’autres circonstances, sire, j’aurais appris avec plaisir à