Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 6.djvu/330

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les nécessités de la vie européenne sont montées en ces pays, vous donnez le moyen de pourvoir honorablement aux dépenses d’une famille, mais vous ne donnez rien au-delà. Ce sont pourtant par de rudes et incessans labeurs que l’on vous achète, et si tous ceux qui se récrient contre la riche dotation du service civil pouvaient voir de près la vie d’exil sous un climat délétère, avec ses ennuis profonds, ils envieraient sans doute un peu moins le sort de ceux qui portent ces chaînes pesantes et dorées. Nous n’entendons point nous faire l’apologiste à toute épreuve du service civil de l’honorable compagnie des Indes. Que son éducation soit perfectible, nous n’en doutons pas; que quelques-uns de ses membres aient donné de tristes exemples de corruption et d’incapacité, que d’autres affectent des airs extravagans de Grand-Mogol, on l’admettra sans peine. Nous disons seulement qu’en moyenne comme corps, par son intégrité, ses lumières, son expérience, il est à la hauteur de sa mission, que jamais magistrats plus intègres, collecteurs plus désintéressés, juges plus indépendans, n’ont veillé sur le sort des populations natives, qu’en un mot la très grande majorité du service civil représente dignement dans l’Inde une des nations qui marchent en tête de la civilisation européenne.

Le rôle important que le service civil a joué dans l’histoire de l’Inde ne saurait échapper à l’attention la plus superficielle. Si depuis cinquante ans la race indienne a supporté la domination étrangère sans révolte, presque sans murmure, il faut l’attribuer à la sagesse des règlemens primitifs qui ont organisé l’administration anglo-indienne en un corps spécial, exclusif, dans lequel la loi absolue de l’avancement à l’ancienneté donne des gages certains que le sort des populations ne peut être confié qu’à des officiers parfaitement au courant de leurs préjugés, de leurs habitudes. Là est le secret des succès merveilleux du gouvernement de la compagnie, là est l’écueil où viendra sans doute échouer la fortune anglaise dans l’Inde. Nous ne croyons pas que des baïonnettes européennes soient Jamais appelées à arracher ce beau domaine au sceptre de l’Angleterre : un tel drame militaire, s’il doit se jouer un jour, ce dont Dieu garde le monde, aurait d’ailleurs pour théâtre Londres ou l’Egypte; mais nous croyons sincèrement que des mesures d’amélioration, de réforme, l’esprit du mieux, ennemi du bien, sont destinés à faire dans les Indes-Orientales ce qui a déjà été fait et si victorieusement aux Antilles. Or, à notre avis, ce jour sera peu distant de celui où le service civil de l’Inde cessera d’être un corps spécial, où les ministres de la couronne pourront recruter parmi les ambitions déçues de la métropole les officiers de la justice, de l’administration et des finances des trois présidences.