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compositeur, et d’avoir su mettre de la poésie et de l’art où tant d’autres ne mettent que du métier. Qu’on oublie un moment la destination des drames lyriques de Métastase : à les prendre pour des tragédies, on les trouverait encore infiniment supérieurs à tout ce qui les précède, si l’on excepte la Mérope de Maffei. Ce dernier est dans la véritable voie de l’art. C’est un précurseur. Ce qu’il vaut, il n’est permis à personne de l’ignorer après les critiques célèbres de Voltaire. Il est poète, quelquefois trop naïf dans les situations les plus dramatiques; mais ce qui lui a surtout manqué, c’est de savoir se borner et ne chercher la gloire que par un seul chemin. Maffei voulut être militaire, historien, journaliste, en même temps que poète, il dissémina ses forces et ne put se placer au premier rang dans aucune de ces carrières. Ainsi se trouva retardée par sa faute la réforme de la tragédie, qu’il aurait pu accomplir. La comédie prit les devans : elle se personnifiait alors en deux ou trois hommes, Goldoni, Gozzi, et, si l’on veut, l’abbé Chiari.

Ecartons d’abord ce dernier. Assurément il ne manque ni de facilité ni de savoir-faire, mais il n’est guère qu’un improvisateur. Il mettait puérilement sa gloire à refaire chaque pièce nouvelle de Goldoni dans les trois jours qui en suivaient la représentation. A la prose il substituait les vers, à l’étude minutieuse de la société la fantasmagorie d’inventions invraisemblables qui plaisait encore, et il faisait jouer ces comédies ainsi transformées devant un public qu’une pareille lutte amusait. Il eut donc les succès qu’en Italie on ne refuse guère aux improvisateurs, mais il leur dut de ne jamais devenir un écrivain. Son style, plein d’afféterie et de mollesse, est languissant, terne et sans vie; ses personnages s’entretiennent avec une froideur mortelle, si bien qu’aujourd’hui l’on saurait à peine son nom, s’il n’avait été en tiers dans la grande querelle de Goldoni et de Gozzi.

On sait ce que fut cette querelle. Depuis trop longtemps la comédie improvisée régnait sans rivale pour qu’un mouvement en faveur de la comédie écrite et régulière tardât à éclater. Goldoni eut l’honneur de donner le signal. Dans le cours de sa vie aventureuse, il avait formé le projet de renouer la tradition comique de Machiavel et de l’Arioste, en s’inspirant de Molière pour les corriger et les compléter. Il apportait à son œuvre des qualités réelles. C’était un esprit froid et posé, observateur et méditatif: seulement, comme il manquait de profondeur et d’élévation, il étudia la nature humaine dans ce qu’elle a d’apparent, au lieu d’en creuser et d’en reproduire les caractères éternels. Ce qu’il peint, ce sont les mœurs italiennes de son temps. Empruntés à cette réalité qui peut quelquefois n’être pas vraisemblable, ses personnages, s’ils nous étonnent par leur singularité exceptionnelle, n’en sont pas moins des copies fidèles et