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contemporains avec lui croyaient seulement à une révolte des parlemens, mais il faut reconnaître qu’il exprime ou rapporte un sentiment bien vif du danger quand il parle du terrible héritage que ces anciennes cours s’apprêtent à léguer. Il ajoute le nom du légataire : la nation ! A-t-il prévu, et qui prévoyait alors que cette héritière de l’ancien régime, loin d’admettre qu’on lui fît sa part, exigerait la succession tout entière, et que, pour la mettre en possession, il faudrait une lutte sanglante?

Déjà cependant la révolution a commencé d’éclater, et M. de Staël ne croit pas encore au danger que court la royauté; il est d’avis qu’il n’y a de menacé que la noblesse, et il se laisse aller à l’enthousiasme que lui inspire 89. « C’est une bien grande époque, remarque-t-il le 29 janvier 1789. Ceux qui ont suivi les progrès de cette révolution en jetant un coup d’œil en-deçà et en se souvenant des trois dernières années seulement ne peuvent concevoir le cours des événemens ni le prompt changement des esprits. » Et deux ans plus tard, 22 septembre 1791, il écrit : « On ne saurait trop le répéter, cette révolution est contre la noblesse, non contre le trône; le roi a été outragé comme protecteur de la noblesse et non comme souverain. »

Et pourtant il raconte les insultes prodiguées au roi et à la reine, et ces retours passagers de respects et d’hommages plus humilians encore et d’un plus triste augure. Comment ne prévoit-il pas les excès qui vont suivre? « Le roi est venu hier prêter son serment à l’assemblée, dit-il, et cette cérémonie a donné lieu à un incident remarquable. Le président, M. Thouret, avait eu l’impertinence et la sottise de faire décréter par l’assemblée qu’elle resterait assise pendant que le roi parlerait. Le roi ne s’y attendait pas. Il resta debout pour prêter son serment, mais, s’apercevant que l’assemblée s’asseyait, il en ressentit un mouvement très vif d’indignation et ne le dissimula pas. — Il s’est conduit avec tant de dignité que l’assemblée l’a finalement applaudi avec transport. »

N’était-ce pas assez de ces tristes symptômes pour aider à prévoir la ruine complète et prochaine de l’antique royauté, et qu’est-ce qu’une puissance dont le respect est à ce point perdu?

Qu’il attendît ou non l’impétueux essor des idées révolutionnaires, M. de Staël les accueillit sans étonnement et sans répugnance. Tout en condamnant, dans sa correspondance avec Gustave III, les excès de la révolution et le langage des démagogues, il y parle sans cesse en faveur des nouveaux principes, des droits des peuples, du glorieux avenir réservé à la France et à l’humanité. La ligne de conduite qu’il conseille au roi son maître, c’est de ne point s’opposer à ces généreuses idées qui doivent féconder l’avenir, mais d’en seconder plutôt la marche puissante. Malheur, suivant lui, à qui voudra