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trie! De tout temps Albion a été le boulevard de la liberté; Dieu la plaça comme sur un rocher immobile, entre deux mondes, pour répandre les germes de la liberté dans les deux hémisphères. De l’Afrique à l’Océanie, un de nos vaisseaux a-t-il jamais jeté l’ancre sur quelque rivage sans y déposer des germes féconds? Partout où aborde un de nos colons, ne fait-il pas souche d’hommes libres? Et ici, au cœur de l’Europe, en pleine civilisation, nous nous couvririons d’infamie pour servir le plus stupide des rois !

« NELSON. — Audacieux! oubliez-vous qui vous êtes et à qui vous parlez?

« LE CAPITAINE. — Je me rappelle que les fils de la vieille et libre Angleterre ont sucé avec le lait la foi du serment, l’amour de la justice, le respect des vaincus. Beaucoup de sang va couler; qu’il retombe sur qui de droit, mais point sur le nom honoré de l’Angleterre !

« NELSON. — C’est peut-être le sang anglais qui va couler?

« LE CAPITAINE. — Non, mais c’est l’honneur anglais qui coule par tous les pores.

« NELSON. — Les lois de la guerre ne me permettent pas de vous donner votre congé-

« LE CAPITAINE. — Il y a des lois en Angleterre, et sur quelque plage que ce soit, sur quelque mer qu’il se trouve, l’Anglais est libre.

« NELSON. — Ici, la loi, c’est moi.

« LE COMMODORE. — Amiral, il y a encore une tribune libre en Angleterre, et au-dessus de cette tribune, au-dessus de cette majorité vendue à Pitt, il y a l’opinion publique.

« NELSON. — Allez. Vous recevrez mes ordres. »


Peut-être trouvera-t-on que ces deux officiers sont, par leur langage, sinon par leurs sentimens, plus Italiens qu’Anglais; en tout cas, il faut se rappeler que Fox n’était pas le seul à protester en Angleterre contre la politique de Pitt; sa voix éloquente trouvait de l’écho dans la chambre des communes et au dehors. Il est à regretter que M. Lévi se soit créé comme à plaisir d’insurmontables difficultés en cherchant le sujet d’un drame dans l’histoire politique. Se placer sur ce terrain, c’est renoncer aux œuvres durables pour dresser des machines de guerre d’un effet bien douteux, puisqu’il faut d’ordinaire qu’avant de servir à la lutte, elles passent par les mains de l’ennemi. Il est à regretter aussi que cette disposition belliqueuse soit générale en Italie, dans la vie active comme dans les lettres, au théâtre comme dans le roman. Combien ne serait-il pas plus profitable d’étudier les mœurs nationales, d’en faire ressortir le côté faible, et de s’attacher à perfectionner les hommes, au lieu de les pousser à la vengeance! Mais les Italiens hésitent à entrer dans cette voie. Ceux de leurs dramaturges qui ne font pas de politique font de l’histoire, comme M. Alcide Oliari dans sa Béatrice Cenci. M. Oliari est fort jeune encore, et, si je ne me trompe, Béatrice Cenci est son œuvre de début. Ce drame n’a pas subi, que je sache, l’épreuve de la scène, sans qu’il y ait à cela d’autres raisons que