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sophe, au moraliste, à l’historien qu’il appartient de signaler ces rapports ; le poète doit s’attacher surtout aux différences, aux traits caractéristiques, et c’est ce dont les auteurs dramatiques italiens ne semblent pas assez pénétrés. Comme nous, comme tout autre peuple, nos voisins ont des défauts, des travers nationaux qu’il est superflu d’indiquer ici ; voilà les plaies que je voudrais voir sonder avec précision et fermeté, car elles sont pour beaucoup dans leur impuissance. Si l’on faisait ressortir en même temps les aimables, les solides qualités qui les distinguent, leur théâtre, plus instructif pour eux, n’en deviendrait que plus intéressant pour nous. En général, il manque aussi de moralité. Ce n’est pas à dire qu’il faille bannir le vice de la scène ; mais il ne faut pas qu’il y règne seul. Le contraste, nécessaire pour l’agrément, ne l’est pas moins pour que de l’action ressorte un enseignement final. Sans aller, n’en déplaise à Rousseau, jusqu’à condamner l’Avare de Molière comme une pièce immorale, parce que le fils d’Harpagon est un impertinent, la critique peut désirer que la comédie au-delà des Alpes se préoccupe un peu plus de l’esprit philosophique et raisonneur de notre temps, qu’elle applique plus résolument l’invention des caractères et les combinaisons de l’intrigue à la démonstration d’une vérité morale.

Que les auteurs comiques en Italie se pénètrent bien de ce double devoir du poète dramatique, et ils parviendront sans doute à faire applaudir des productions moins incomplètes ; ils comprendront aussi que la prose n’est pas le langage nécessaire du poète comique. L’exemple de Plaute, de Térence, de Molière aussi, prouve ce que la pensée gagne de relief et de précision à s’exprimer en vers. Quelques essais en ce genre auraient encore pour les Italiens un autre avantage. Ils les forceraient en quelque sorte à rapprocher leur langue poétique de la prose et à créer un genre intermédiaire qui leur manque, le vers comique, si je puis m’exprimer ainsi. Il leur manque pour le théâtre quelque chose de semblable à l’iambique de Térence, à l’alexandrin de Molière. Il y a là pour le vrai talent, en Italie, une veine neuve et féconde à exploiter. La timidité, la routine, la haine de la fatigue et la crainte de l’inconnu seront-ils pour nos voisins des obstacles insurmontables au progrès, au développement de leur littérature dramatique ? Ne nous hâtons pas de désespérer. Puisqu’ils ont conscience de leur mal, puisqu’ils multiplient les efforts pour le combattre, rien n’est perdu. Il est permis de dire des lettres italiennes ce que Sénèque disait de la fortune : Ad imum deatlus es ? Nunc est resurgendi locus. Vous êtes à terre ? C’est donc le moment de vous relever.


F.-T. PERRENS.