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quelle expira la république romaine, on voit Pompée former avec facilité en Grèce, en Épire, en Illyrie des flottes nombreuses, tandis que César, maître de l’Italie, n’y réunit qu’avec des peines inimaginables un nombre de navires insuffisant pour transporter ses soldats. La différence de vocation des populations n’a pas plus changé que la configuration et l’état météorologique des côtes; les deux rives de l’Adriatique sont habitées par des races d’hommes qui leur ressemblent :

La terra……..
Simili a se gli abitator produce.


Avec leurs dentelures profondes, les roches sauvages de leurs îles, les écueils dont elles sont ici parsemées, les admirables abris qu’elles offrent plus loin, les côtes de l’Istrie et de la Dalmatie sont la première officine d’hommes de mer qui soit au monde, et ces hommes aux membres vigoureux, au cœur intrépide, se trempent tous les jours dans les orages de l’Adriatique. C’est avec raison qu’Horace appelle cette mer inquiète; seulement il est injuste envers le vent du sud, quand il l’accuse d’être celui qui la trouble le plus. Le grand perturbateur de l’Adriatique s’appelle aujourd’hui la bora, nom dans lequel on retrouve celui de Borée, et la rose des vents du port de Trieste le fait souffler de l’est-nord-est. La bora s’élève presque toujours inopinément; sans l’avertir, elle assaille le matelot inexpérimenté, le renverse, le roule, et brise ses agrès. Elle dure souvent des semaines entières. L’espace compris entre les bouches de Cattaro et la pointe méridionale de l’Istrie est le domaine de ses plus grandes violences. Le Dalmate, accoutumé dès l’enfance à la braver, s’endurcit à son souffle et méprise les tempêtes vulgaires, qui mollissent auprès de celles de son pays. Ainsi l’air, la mer et la terre concourent à dresser le robuste et sobre matelot de cette côte.

Lorsqu’à la fin du Xe siècle, les Vénitiens s’emparèrent, à force de persévérance, de ruse et d’audace, de cette pépinière de marins, ils savaient que l’empire du golfe ne peut appartenir qu’à ceux qui la possèdent. Les raisons qui déterminèrent leurs efforts devaient frapper Napoléon ; il était évident que la position nécessaire à l’accomplissement de ses desseins ne pouvait être prise que sur la rive orientale de l’Adriatique, et ce fut à obtenir le droit d’en disposer que tendirent toutes ses combinaisons. Les provinces illyriennes lui furent définitivement acquises par le traité de Vienne du 29 octobre 1809; mais elles étaient occupées par nos troupes depuis la campagne d’Austerlitz, et, dans sa prévoyante impatience, Napoléon avait usé du droit de la guerre pour préparer les bienfaits et les grands travaux de la paix.

En 1806, M. Beautemps-Beaupré, secondé par plusieurs ingénieurs hydrographes de la marine, reçut la mission de rechercher,