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cessité de contenir les riverains toujours frémissans de l’ancienne mer Liburnienne y avait fixé une station navale des Romains. Ce fut à Pola que le doge Urseolo s’établit en 997 pour organiser la partie de l’Istrie qui venait de se soumettre à la république de Venise. Le havre dégarni devint en 1192 l’objet des attaques des Pisans, qui s’en emparèrent pour en être bientôt expulsés. Les débris de la flotte génoise battue en 1378 devant Anzio s’étaient réfugiés dans l’Adriatique, et, successivement renforcés par des galères du ponant, ils vinrent, sous le commandement de Lucien Doria, défier la flotte vénitienne devant Pola. Le combat fut un des plus sanglans de cette lutte acharnée; Venise y perdit 15 galères et 1,900 marins, dont 24 patriciens, et l’amiral génois Matteo Maruffo s’établit l’année suivante dans le havre. La ville fut dans la suite fort délaissée, car il suffit en 1602 de cent cinquante uscoques pour la saccager, et les Vénitiens ne les en chassèrent qu’en les en laissant emporter les dépouilles. Soit que la république entrât dès-lors, par le délaissement de ses provinces, dans une période de décadence plus marquée, soit qu’elle craignît de provoquer par des améliorations imprudentes des convoitises redoutables, elle ne fit rien depuis cette époque pour relever Pola. L’antiquaire anglais sir George Wheler y trouva en 1675 sept cents habitans, et cette population n’était pas augmentée au milieu du XVIIIe siècle. Les Vénitiens, écrivait Bellin en 1771, envoient un gouverneur à Pola, et ils y tiennent pour toute garnison une quinzaine de soldats qui craignent plus la famine que la guerre. Nos ingénieurs hydrographes ne comptèrent en 1806 que 635 habitans, dont 40 cultivateurs, dans la ville; la campagne était déserte.

La population de Pola s’est de tout temps attachée à la rive méridionale du havre, et cette persistance est fondée sur des circonstances qui ne varient pas : la seule eau douce que possède la contrée sort de terre de ce côté en assez grande abondance pour former une belle aiguade, le relief du terrain y prête de singulières facilités à la défense, et l’atterrage n’est nulle part meilleur. La population que l’attrait de ces lieux y avait fixée devait être très considérable, à en juger par le cirque qu’elle avait construit pour ses fêtes. Ce majestueux monument, assis à 50 mètres de la mer, sur la pente d’une colline, montre deux rangs superposés de hautes arcades couronnées par un étage à fenêtres carrées[1]. Les assises intérieures en ont

  1. Le cirque de Pola a 133m 15 sur son grand axe, 104m 58 sur le petit, 29m 58 de hauteur. J’emprunte ces mesures à l’architecte anglais Allason, qui le visitait quarante ans avant moi. Le nombre des arcades du cirque est de 72 à chaque rang. D’après les déterminations marquées sur divers débris par des lignes creuses, chaque spectateur occupait sur les gradins un espace de 0m 36. Des noms propres gravés sur quelques places sont sans doute ceux des familles dont elles étaient la propriété. Les arènes de Nîmes, qui, plus visitées, peuvent servir ici de terme de comparaison, ont 60 arcades, 131m 60 de grand axe, 103 de petit, et 21m 45 de hauteur. Celles de Pola ont donc un peu plus de surface et beaucoup plus d’élévation. On a calculé que les assises de Nîmes pouvaient recevoir 24,000 spectateurs : à Pola, la surface horizontale disponible était à peu près la même; mais l’étage supérieur y procurait un espace supplémentaire qui n’existait pas à Nîmes.