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héritière du pays. Baptiste espérait que ces menaces et le vent du nord chasseraient son maître de la Capucine.

Un matin qu’il faisait fort doux pour la saison, Pierre se promenait à cheval. En passant du côté de la fontaine de Brécourt, il entendit par-dessus une haie les sons d’un piano. Ces sons partaient d’une maison tapissée de rosiers blancs et tout entourée de gros pommiers. Les fenêtres de cette maison, tournée du côté du midi, étaient ouvertes, et un vent léger en agitait les rideaux. Pierre écouta et reconnut une saltarelle de Rossini. Il lui parut même qu’elle n’était pas mal exécutée. Comme il se dressait sur ses étriers pour regarder par-dessus la haie, le piano se tut, et une voix fraîche lui cria d’entrer. Au même instant, une jeune fille parut à l’une des croisées du rez-de-chaussée, et le salua d’un petit signe de tête amical.

— Très bien ! dit M. de Villerglé ; mais la porte, où est-elle ?

La jeune fille descendit lestement les degrés du perron et lui montra une porte à claire-voie qui était de l’autre côté du jardin. — Bonjour, compère, lui dit-elle aussitôt qu’il eut mis pied à terre.

Pierre se retourna tout étonné. — Compère ! reprit-il.

La jolie Normande, qui tenait le cheval par la bride, haussa les épaules gaiement. — Ah ! mon Dieu ! dit-elle, que vous avez peu de mémoire ! Cette maison, ces gros pommiers, ce puits là-bas, et ce noyer dans le coin avec un banc de bois, tout cela ne vous dit rien ?… Regardez-moi donc bien en face.

M. de Villerglé avait devant lui une jeune fille avenante et fraîche dont le visage souriant lui montrait deux rangées de dents blanches et des joues roses qu’éclairaient deux grands yeux bruns tout pétillans de malice et de gaieté. Il avait bien un vague souvenir d’avoir vu quelque part des traits à peu près semblables à ceux-ci ; mais où et quand ? C’est ce qu’il ne savait pas.

— Je suis donc bien changée ? reprit sa compagne.

Tout à coup Pierre poussa un cri : — Ah ! dit-il, Louise, ma petite commère !

— Enfin ce n’est pas malheureux ! Eh ! oui, Louise Morand… Ah ! c’est bien moi, reprit-elle… Je suis un peu grandie, n’est-ce pas ?…

— Pardine, ma commère, il faut que je vous embrasse, s’écria Pierre. Êtes-vous grande ! êtes-vous belle !

Louise rougit très fort. — Embrassez-moi tant que vous voudrez, mais prenez garde à mes violettes ; vous en avez déjà écrasé quatre ou cinq, dit-elle.

Après que Louise eut confié le cheval à une fille qui ramassait des herbes dans le jardin, Pierre lui prit le bras.

— Çà ! dit-il, pourquoi n’êtes-vous pas venue me voir à la Capucine ?