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Louise conduisit Pierre sur le banc qui était sous le noyer et d’où la vue s’étendait sur la plaine. — Voulez-vous une poire? dit-elle; j’en ai de fort belles.

Elle partit en courant, et revint un moment après avec une assiette couverte de fruits. — Prenez, reprit-elle, la Capucine n’en produit pas de meilleures.

— A propos, dit Pierre en avalant un quartier de la poire que venait d’éplucher Louise, qu’est devenu notre filleul?

— Dominique? Ah! ne m’en parlez pas! Je ne me doutais guère, alors que je tenais ce petit homme sur les fonts baptismaux, qu’il deviendrait un pareil garnement.

— Eh bon Dieu ! qu’a-t-il donc fait?

— Pas grand’chose, si vous voulez, mais rien de bon. Il braconne du matin au soir. Pas un lapin qui soit en sûreté avec lui !

— Quel âge a-t-il donc?

— Seize ans, pardine ! C’était en 1839 que j’étais votre commère... je n’étais pas plus haute que ça, et vous étiez déjà un grand garçon.

— Attendez ! Ce Dominique n’est-il pas un gros joufflu qui a des cheveux blonds tout frisés qui lui tombent sur les yeux? Sa tête est comme une broussaille.

— Précisément. Oh ! le travail ne le maigrit pas !

— Eh bien! mon garde l’a arrêté ce matin au moment où il ramassait un lièvre pris au collet. Ah! le petit drôle est mon filleul?

— Ce qui m’étonne, c’est qu’il y ait encore un lièvre chez vous. Quand je lui fais des observations : — C’est bon, marraine, me dit-il; M. de Villerglé et moi nous sommes de vieux amis. — Et le lendemain il recommence.

Pierre se mit à rire. — Bon ! dit-il, je donnerai ordre qu’on m’amène Dominique.

Vers le soir, M. de Villerglé pensa à retourner à la Capucine et demanda son cheval. — Je ne vous retiens pas à dîner, dit Louise, vous voyez que mon père n’y est pas; il est allé au marché de Troarn pour vendre deux bœufs, et je ne sais pas quand il rentrera... Mais demain, si vous voulez, je vous promets un poulet rôti et des beignets de ma façon.

— J’accepte les beignets, dit Pierre, et il partit.

A dater de ce jour-là, les relations de la Capucine et du Buisson devinrent quotidiennes. On rencontrait presque tous les matins M. de Villerglé sur la route de Brécourt. Louise, comme la plupart des Normandes élevées à la campagne, savait monter à cheval, et le père Morand lui permettait de faire de longues promenades avec son ancien élève. Ce père Morand était une espèce de vieux philosophe qui se comparait volontiers aux sages de la Grèce. Parce que l’âge et les