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cet emprisonnement de tous les députés, à ces desseins aussi absurdes qu’atroces, mais je crois bien qu’on s’est flatté de disperser les états-généraux, de rendre au roi toute son autorité, et qu’on a cru que mon père, en répétant sans cesse que le roi n’en avait pas la puissance dans ce moment, se trompait sur sa véritable force. Dès que l’exil de mon père a été su, tout le royaume s’est armé. Alors, je le crois, alors des étrangers, peut-être même des Français exilés, par des projets coupables, ont profité de ces troubles, les ont fomentés, les perpétuent; mais sans les fautes du gouvernement, sans le renvoi de mon père, jamais ils n’y auraient réussi. On fait naître une cabale, une insurrection partielle avec des mensonges et de l’argent, mais jamais un royaume entier ne se soulève sans de véritables raisons, sans des raisons frappantes pour tout le monde. En quinze jours de temps, l’aspect entier des affaires a été changé; mon père, qui s’était sauvé de France, qui avait fui la gloire comme l’on fuit la honte, mon père, qui est revenu se dévouer à la France en victime du bien public, non en ambitieux de la puissance, a trouvé tous les pouvoirs anéantis ou confondus, le gouvernement de la force comme à l’origine des sociétés, une vieille nation retombée dans l’enfance plutôt que revenue à la jeunesse, un peuple corrompu qui veut adopter les institutions de l’Amérique, la liberté obtenue avant que l’esprit public soit formé, enfin une incohérence dans les idées, un contraste entre les caractères et les circonstances qui fait frémir. Il faut attendre d’un long temps les remèdes aux malheurs d’un seul jour. Il faut que tous les soins de mon père tendent à relever l’autorité du roi. Si le pouvoir exécutif ne lui appartient pas en entier, si les troupes ne lui obéissent pas, ce pays-ci est perdu. Quand un gouvernement subsiste depuis si longtemps, il y a apparence qu’il est nécessaire. C’est comme les règles de l’arithmétique, dont on trouve la preuve en les renversant. Jamais mon père n’a formé le projet d’en détruire les bases. Il désirait sans doute de grandes améliorations, des améliorations devenues aussi indispensables qu’utiles en elles-mêmes; mais, en s’y refusant lorsqu’il n’était plus temps, le roi et la noblesse ont bouleversé le royaume. Mon père a constamment supplié le roi d’accorder ce qu’il serait obligé de céder. C’est au système contraire qu’il faut attribuer l’arrogance du peuple et l’inconsidération du monarque et des grands, qu’on a vus de même tout refuser à la raison, tout abandonner à la violence. Si cet état durait, la France serait détruite, et sa dissolution serait terrible; mais j’espère encore, j’espère que mon père la sauvera. Il fera tous les jours quelque chose de bien, il empêchera tous les jours quelque chose de mal. Si cette attente doit être trompée, il faut fuir à jamais la France. Constantinople serait un asile plus sûr qu’un pays abandonné à la liberté sans frein, c’est-à-dire au despotisme de tous. Votre majesté me pardonnera-t-elle d’avoir eu le besoin de soumettre à ses lumières des événemens dont la gloire de mon père dépend? Me pardonnera-t-elle de mettre un prix inestimable à une occasion de me rappeler à son souvenir? Si le tableau terrible et philosophique que j’ai sans cesse devant les yeux rend moins sensible aux grandeurs de la vie, il ajoute au respect dont on est pénétré pour le génie. On a besoin de la gloire, on est passionné pour les succès, et quand tour à tour le despotisme et l’anarchie égalisent tous les hommes, on désire pour l’honneur de son siècle que le roi