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Elle noua les brides de son chapeau, jeta son châle sur ses épaules, et sortit. Pierre marchait derrière elle d’un air bourru. Il coupait les branches à coups de houssine.

— Çà! dit Louise, qu’avez-vous donc ? On dirait que vous mâchez des épines,

— Dame! répondit Pierre, ce n’est pas que je vous en veuille, mais enfin vous auriez bien pu me dire que vous alliez vous marier.

Louise partit d’un éclat de rire. — Et qui vous a conté cette belle nouvelle? dit-elle alors.

— Ce n’est donc pas vrai? s’écria Pierre.

— Mais, mon pauvre compère, m’est avis que le premier à qui je demanderais conseil, si je devais me marier, c’est vous.

— Oh bien ! je ne vous le conseillerai pas de si tôt; n’êtes-vous pas heureuse ainsi?

Pierre se souvint de Dominique, qu’il avait laissé à la maison fort triste sur un banc. — Bon ! pensa-t-il, demain je lui ferai cadeau d’une belle poire à poudre.

Il avait pris le bras de Louise sans y penser. — Eh! reprit-elle, il faudra pourtant bien que ça finisse par là; mon père se fait vieux, je vais sur mes vingt-deux ans, je ne peux pas rester seule au Buisson.

— Bon, dit Pierre, vous avez le temps.

Quand il revint à la Capucine, Pierre ne trouvait plus que de bons cigares dans son étui. — Eh! eh! dit-il à Dominique, qui rôdait devant la maison, j’ai vu tantôt un lièvre qui sortait du petit bois de chênes du côté du père Marteau... Va te mettre à l’affût, tu l’auras.

Le père Morand eut un accès de goutte. Il avait beau citer les anciens et parler de Zénon, on voyait qu’il souffrait beaucoup. Il maugréait parfois comme un païen, et sa philosophie avait des impatiences terribles. Louise avait pour lui mille tendresses et mille soins; elle était active, gaie, complaisante, et ne le quittait pas d’une minute. Elle lisait à voix haute ses auteurs favoris et prenait des notes sous sa dictée. Un peu de pâleur était le seul indice qu’on eût de sa fatigue. Son humeur n’en était ni moins prévenante, ni moins enjouée. Pierre lui tenait fidèle compagnie. Un soir que le père Morand avait été comme un dogue à la chaîne, Pierre prit la main de Louise en s’en allant. — Je vous admire, dit-il.

— Oh! c’est mon enfant, répondit-elle.

Après qu’il avait passé la journée au Buisson, Pierre, pour se délasser, prenait un fusil et allait avec Dominique se mettre à l’affût des canards sauvages. Les lettres qu’on lui écrivait de Paris continuaient à s’empiler sur sa cheminée; mais, aguerri déjà, il en ouvrait