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jeune écolier du collège de Belley désirait ardemment voir l’auteur de René. Lui parler, il n’y songeait pas, ses vœux n’allaient pas si loin. Accompagné d’un camarade animé du même désir, il s’aventure dans le bois d’Aulnay. Il savait confusément que Chateaubriand s’était retiré dans la vallée-aux-Loups. Demander sa maison, à quoi bon ? Il y a dans les murs où respire un homme de génie quelque chose de particulier qui ne se définit pas, mais qui se devine. Le futur auteur des Méditations poétiques ne s’y trompe pas. La maison de Chateaubriand est fermée. Comment apercevoir le grand écrivain ? Les deux écoliers de Belley grimpent sur un arbre. À cheval sur une maîtresse branche, ils attendent patiemment que Chateaubriand paraisse. Il paraît enfin, il descend de son perron, il ouvre la porte du jardin. O bonheur inespéré ! c’est bien lui. Il ne dément pas son portrait ; grosse tête et jambes grêles, il n’y a pas à se méprendre. Socrate jouait aux osselets : Chateaubriand joue avec son chat. Quelle joie pour les deux écoliers de surprendre le génie dans ce passe-temps familier ! Le chantre de Velléda, d’Eudore et de Cymodocée jette à son chat qui le suit hors de son jardin des boulettes de pain, et le chat court après les boulettes. N’est-ce pas là un souvenir plein d’intérêt ? Nous apprenons par la même occasion que les deux écoliers, avant d’apercevoir le grand homme, ont déchiré leurs habits en grimpant sur la crête d’un mur couvert de tessons de bouteille. C’est en écrivant de telles pages que M. de Lamartine veut initier ses lecteurs à l’histoire littéraire de notre pays.

Je voudrais n’avoir pas à citer d’autres anecdotes de la même valeur ; mais il faut garder le silence, ou dire sa pensée tout entière. Quand il s’agit d’un écrivain dont la renommée repose sur des titres légitimes, les ménagemens seraient pure faiblesse. Nous ne pouvons oublier les Méditations et les Harmonies, qui placent M. de Lamartine au premier rang de nos poètes. Nous aurions voulu le voir demeurer dans le rôle qui lui a donné la gloire. Puisqu’il recommence à tout propos le récit de sa jeunesse, nous sommes obligé de noter dans cette narration les pages puériles, qui malheureusement sont trop nombreuses. On se demande comment un écrivain parvenu à la maturité peut écrire de pareils enfantillages. Nous aimerions mieux nous trouver en face de pensées sérieuses, mais il ne dépend pas de nous d’élever le débat. M. de Lamartine raconte avec emphase les détails les plus futiles sans réussir à exciter dans l’âme du lecteur une émotion, même passagère. Il désirait, comme son ami Auguste Bernard, voir Mme de Staël. De la part d’un écolier, c’était sans doute un désir très naturel ; mais le moyen imaginé pour contenter ce désir est presque aussi ingénieux que l’expédition de la Vallée-aux-Loups. Pour apercevoir Mme de Staël, les deux amis passent