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éprouvées de ceux qu’on l’accusait d’avoir trop servis, la noblesse n’a pu s’élever dans cette circonstance à la justice la plus facile, celle qu’on exerce envers l’adversité. Unie par ma tendresse et mon admiration à la destinée de mon père, il est vrai que je ne pense que par lui; mais, en lisant son dernier ouvrage, votre majesté a-t-elle trouvé que de telles opinions fussent coupables et compromissent les devoirs d’une personne attachée au roi de Suède par sa position et sa reconnaissance? Mon âge du moins et le titre de femme devaient empêcher qu’on y mît la plus légère importance. Cependant on a voulu envelopper M. de Staël dans la disgrâce où l’on cherchait à me jeter auprès de votre majesté, quoiqu’il soit impossible d’être plus étranger aux torts qu’on veut me trouver. J’avais pour amis avant la révolution MM. de Périgord, de Castellane et de Montmorency. Ils se sont trouvés parmi les députés nobles et ecclésiastiques qui ont marqué, non assurément contre l’autorité royale, mais contre les privilèges dont ils jouissaient plus que personne par l’illustration de leurs noms. Je suis restée liée avec eux, parce que les sentimens n’appartiennent pas aux opinions, et que les devoirs de l’amitié s’augmentent par les dangers mêmes auxquels ils s’exposent. Au milieu d’une société assez nombreuse, je ne vois qu’eux dont l’opinion, quoique extrêmement modifiée, aristocrate relativement aux clubs dominateurs de la France, puisse s’appeler populaire. C’est sur le prétexte de l’amitié que je leur conserve que se fondent les compositions de quelques libellistes. Il est si léger, ce prétexte, que l’invention totale ne leur coûterait pas davantage. Ce tort néanmoins, je le répète, m’est entièrement personnel, M. de Staël n’ayant pour amis que des hommes étrangers aux affaires de France.

« Je ne me défends point d’une inquiétude très vive quand je sais votre majesté entourée de personnes malveillantes pour moi. Je n’en éprouverais plus si je pouvais lui exprimer l’exacte vérité; le courage et la fidélité dans l’amitié sont les qualités qui peuvent déplaire aux rois qui n’attendent rien que de l’obéissance passive; mais celui que l’enthousiasme élèverait sur le trône, si le sort ne l’y avait pas placé, doit aimer l’indépendance d’opinion et de caractère. Elle donne aux hommages qu’elle rend un sceau de liberté, traite avec la puissance comme avec la gloire, et, ne se soumettant que parce qu’elle admire, prépare à votre majesté un triomphe de plus.

« Je suis avec respect, etc.

« NECKER, baronne de STAEL de HOLSTEIN.

« Paris, ce 11 novembre 1791. »


Il est clair que l’auteur de ces deux dernières lettres n’apporte plus à la correspondance dont elle s’était chargée ni cet enjouement ni cette liberté d’esprit qui caractérisait ses Bulletins de nouvelles. On voit facilement que de graves événemens sont intervenus, dont l’impression et la préoccupation profondes ont effacé tous les autres souvenirs; on s’aperçoit que les rapports sont changés, que l’accueil ne sera plus le même pour les missives naguères si bien reçues; elles deviennent moins fréquentes, puisque plus de deux années séparent l’une de l’autre les deux dernières; elles sont moins con-,