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jours de plus passés en discussions stériles sur les affaires de Naples, sur l’occupation des principautés danubiennes et de la Mer-Noire, sur la situation de Bolgrad, sur le traité de Paris, sur l’alliance de la France et de l’Angleterre, et sur la crise ministérielle qui s’est enfin dénouée à Constantinople par l’avénement de Rechid-Pacha, Ces diverses questions qui se mêlent et sont les élémens de cette grande énigme qu’on appelle la politique européenne n’ont pas à tous les instans une égale importance. On ne peut dire assurément aujourd’hui que les affaires de Naples soient réglées, ni même près d’être réglées. Par une singulière coïncidence cependant, au moment où les journaux anglais pressent les cabinets de Londres et de Paris d’envoyer leurs passeports aux ministres du roi des Deux-Siciles, en présentant le fait comme accompli à l’égard du prince Carini, il se trouve que la question napolitaine semble perdre de sa gravité. Le roi Ferdinand a mis une certaine habileté à choisir son heure pour placer sous une protection spéciale les intérêts français et anglais pendant l’absence de nos légations. Si c’était là le prélude d’actes intelligens, de réformes intérieures, en un mot d’une politique plus conforme aux suggestions de l’Europe, ce serait évidemment le pas le plus décisif vers une solution, et c’est peut-être l’attente d’une solution de ce genre qui fait que la question napolitaine s’efface un peu momentanément.

L’intérêt se concentre donc plus particulièrement aujourd’hui dans les affaires d’Orient et dans tous ces litiges obscurs qu’a fait naître l’application du traité de Paris. Rigoureusement, matériellement, il n’est point douteux que la Russie, dans les difficultés qu’elle soulève au sujet de la délimitation de la Bessarabie, a pour elle le texte formel du traité du 30 mars, tandis que l’esprit de cette convention solennelle détruit ses prétentions. Or la Russie se réfugie dans le texte, et elle persiste d’autant plus dans son interprétation, que, même en admettant la démarcation à laquelle elle se rattache, et qui lui laisse Bolgrad, le grand objet de la querelle, elle perd quarante et une colonies bulgares sur un nombre total de quatre-vingt-deux, fondées par elle dans ces contrées. L’Autriche et l’Angleterre s’arment au contraire de l’esprit du traité pour refuser à la Russie la position de Bolgrad, comme pouvant donner accès sur le Danube, et tant que le traité n’aura point reçu, sous ce rapport, une exécution conforme à leurs vues, elles refusent de quitter l’une les principautés, l’autre la Mer-Noire.

Il y a là évidemment un ensemble de faits irréguliers dont la durée indéfinie suspendrait une menace permanente sur la paix de l’Europe. Qui réglera ces différends ? À quel titre les puissances alliées pendant la guerre peuvent-elles agir aujourd’hui ? On a tout d’abord fait appel à bien des considérations pour légitimer l’occupation des principautés par l’Autriche et la présence des vaisseaux anglais dans l’Euxin. Depuis quelque temps, on invoque le traité particulier signé le 15 avril 1856 entre la France, l’Angleterre et l’Autriche. Or que dit ce traité ? Il stipule de la part des trois puissances une garantie plus étroite et solidaire des conventions du 30 mars et de l’intégrité de l’empire ottoman. La France, l’Angleterre et l’Autriche s’engagent à considérer comme un cas de guerre toute infraction au traité général. Il découle de là une question essentielle, celle de savoir avant tout s’il y a réellement