Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 6.djvu/466

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quefois aussi à des intérêts étrangers à la diplomatie. L’Angleterre, on ne l’ignore pas, n’a point été complètement satisfaite dans son orgueil par le traité qui a mis fin à la guerre. Au moment où la paix est venue, elle comptait sur des succès éclatans, et en se résignant à déposer les armes, elle a tenu d’autant plus à tirer tout le parti possible de la situation nouvelle qui était créée. Depuis ce moment, d’où sont venues les divergences avec la France ? L’Angleterre a pu désirer parfois donner à ses interventions un caractère plus décidé et moins retenu, notamment en Italie. Alliée de la France, elle n’a point vu peut-être sans une certaine humeur quelques apparences de rapprochement entre le gouvernement français et la Russie. Il est évident que le cabinet anglais ne s’est point départi d’une rigueur qui était dans son droit, tandis que la France, ainsi que le disait récemment l’empereur en recevant M. de Kissélef, s’est préoccupée « d’adoucir par de bons procédés tout ce que la stricte exécution de certaines conditions pouvait avoir de rigoureux. » L’humeur britannique ne s’est point sans doute adoucie, lorsqu’on a su à Londres qu’un traité de commerce était négocié entre la France et la Russie. Enfin, comme un intérêt mercantile se mêle à tout au-delà du détroit, si l’Angleterre avait espéré que le retour de la paix permettrait à la France d’entrer dans la voie de la liberté commerciale, elle a été détrompée par l’ajournement du projet qui prononçait la levée des prohibitions.

L’impression laissée par quelques-uns de ces faits a pu n’être point étrangère aux déterminations qui sont survenues. Toujours est-il que pendant ce temps l’Angleterre se tournait vers l’Autriche et appuyait sa politique en Orient. Elle insistait pour la plus rigoureuse interprétation du traité de paix relativement à la délimitation de la Bessarabie ; elle maintenait ses vaisseaux dans la Mer-Noire. Dans tout cela, on voit bien des différences d’opinion et de conduite, comme nous le disions, on aperçoit des momens d’épreuve dans la pratique de l’alliance ; mais où remarque-t-on les signes d’une incompatibilité d’intérêts entre les deux pays ? L’Angleterre, à coup sûr, n’est pas plus portée que la France à provoquer la guerre, et la France autant que l’Angleterre désire l’exécution des stipulations inscrites dans le traité de Paris. Lord Palmerston, dans un discours qu’il a prononcé récemment à Manchester, n’allait point au-delà de cette exécution stricte des conventions de paix. Il en résulte que si des inquiétudes ou des froissemens passagers peuvent parfois jeter quelque froideur entre les deux pays et diviser leur action, les intérêts fondamentaux les rapprochent. Au moment où la crise semble s’aggraver, ou sent le besoin de faire un effort pour rétablir la communauté de vues et de politique. Par malheur, lorsque cet effort est tenté par les gouvernemens, il survient tout à coup un maladroit discoureur qui pense sans doute devancer l’avenir en faisant quelque sortie contre l’Angleterre. Le procès du gouvernement anglais est dressé en bonne forme, le réquisitoire produit de l’effet, et se répand en Europe. Seulement le gouvernement est réduit le lendemain à reconnaître qu’il peut avoir des auxiliaires plus compromettans qu’habiles, et à rappeler qu’envenimer les querelles, ce n’est point aider à les résoudre. C’est là le fait à constater depuis quelque temps : un travail évident s’accomplit pour réta-