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DANTE ALIGHIERI
ET LA
LITTÉRATURE DANTESQUE
EN EUROPE

À la fin du XIIIe siècle, dans la plus turbulente des républiques italiennes, un poète, nourri de philosophie, de théologie, de mystiques rêveries amoureuses, est jeté brusquement au milieu des luttes de son pays. Passionné pour le bien, il s’efforce de voir clair dans la mêlée ; mais comment découvrir le vrai chemin à travers tant de rivalités aux prises ? Ce ne sont pas des principes qui se combattent, ce sont des haines de famille qui éclatent au sein d’un même parti. Florence est « un navire sans pilote battu par la tempête horrible. » Pour s’attacher à un point fixe au milieu de ces perpétuelles secousses, il conçoit un idéal de l’ordre universel. De la politique confuse de sa cité natale, il s’élève à la politique de la chrétienté tout entière. Poète, il était devenu citoyen ; le citoyen se transforme en une sorte de législateur philosophique et mystique, et c’est à la lumière de son idée qu’il va débrouiller le chaos de l’Italie. Qui le suivra ? Personne. Son impartialité le condamne à l’isolement. Il est seul, il sait qu’il doit être seul, et cette solitude ne l’effraie pas. Comme on lui offre une ambassade auprès du pape, il jette ces mots à la face de ses concitoyens : « Si je pars, qui reste ? si je reste, qui part ? » Ce serait de l’arrogance dans une autre bouche ; c’est chez lui la conscience de son rôle. Le jour où il sera banni de son