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s’est créé un moyen âge de fantaisie, un moyen âge tout rempli de séraphiques douceurs, vous comprendrez quel effroi doivent causer à des imaginations préparées de la sorte les témérités des hommes du XIIIe siècle. Je prends un exemple : un littérateur naïf, M. Aroux ou tout autre, vient d’étudier le moyen âge chez l’historien de sainte Elisabeth, et le XIIIe siècle tout entier lui est apparu comme un sanctuaire embaumé de prières et d’encens. Maintenant, qu’il ose regarder en face, non pas une miniature fardée, mais la réalité vivante ; qu’il lise la biographie de Jean d’Olive, ou de Jean de Parme, ou de Guillaume de Saint-Amour ; qu’il entende saint Bernard, dans le traité de la Considération, admonester le pape Eugène IV, qu’il l’entende, dans ses sermons, flétrir la corruption des couvens, de quelle horreur ne sera-t-il pas saisi ? Ces figures si hardies, saint Dominique, saint François d’Assise, le rempliront de frayeur. Saint Thomas d’Aquin lui-même prononcera sur l’autorité de la raison des paroles qui le scandaliseront. Où donc est ce moyen âge qu’on lui avait dépeint, où donc cette longue rêverie si doucement bercée par les anges ? Irrité de son désappointement, notre homme ne trouvera plus que des impiétés là où il espérait découvrir des trésors. Voilà l’histoire de M. Aroux. Il a demandé à Dante la religion formaliste du XIXe siècle, et, ne comprenant rien à la liberté de sa foi, il a vu dans le poète de Béatrice et de saint Bernard le chef d’une insurrection contre le christianisme.

Timides croyans de nos jours, chrétiens que la liberté scandalise et que la philosophie effraie, ne lisez pas les œuvres du moyen âge : leurs naïves hardiesses ne sont pas faites pour vous ; lisez-les, au contraire, si vous êtes curieux de savoir ce qu’était la libre vie d’une conscience chrétienne, Dante est un des représentans les plus hardis de cette liberté sainte. Ce n’était pas une hérésie au XIIIe siècle de condamner à l’enfer des pontifes prévaricateurs ; ces grandes âmes avaient des franchises dont elles profitaient résolument. Parce qu’un Dante catholique serait impossible à l’heure qu’il est, ne méconnaissez pas le catholicisme d’Alighieri ; prenez garde de calomnier le grand justicier du moyen âge.


III

J’ai indiqué les principaux résultats de la critique moderne sur la vie et les œuvres de Dante Alighieri. La meilleure part, on l’a vu, appartient aux écrivains de l’Allemagne, de la France et de l’Italie. L’étude des détails biographiques a été surtout représentée par les héritiers de Landino et de Lombardi ; des ouvrages comme le Veltro allegorico de l’abbé Troya, le Secolo di Dante de M. Ferdinand Arrivabene, la Commedia di Dante Alighieri illustrata d’Ugo Foscolo, la