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Et, confondus ensemble, ils éclairent nos yeux,
Ils animent le monde, ils emplissent les cieux[1].

Il y a peu d’exemples d’une aussi grande découverte, aussi simplement faite et poussée aussi loin dans ses conséquences, car ce n’est la que le premier terme d’une série innombrable d’expériences dent nous allons retracer les principaux résultats. D’abord un phénomène laissé encore mystérieux malgré les travaux de Descartes, l’arc-en-ciel, était expliqué : la lumière du soleil, en traversant les gouttes d’eau ou la vapeur qui la réfractent, est décomposée, et les couleurs du spectre apparaissent. Newton même a expliqué mathématiquement les raisons de la forme de l’arc-en-ciel et de sa grandeur. On conçoit aussi comment dans les microscopes et les télescopes du temps les images étaient entourées de franges colorées, et n’avaient pas toujours la couleur réelle des objets. Les rayons venant de ces objets étaient diversement réfractés, et les appareils d’optique étaient imparfaits ; on prouva même par des démonstrations que ce défaut ne pouvait être corrigé, et on le démontrerait encore si Euler, par une disposition ingénieuse et vulgairement employée aujourd’hui, n’eût rendu achromatiques toutes les lunettes en mettant à profit le mécanisme mieux connu de l’œil des animaux.

La couleur est-elle une propriété des corps, ou, comme dirait un métaphysicien, une modification de notre âme ? Depuis le commencement du monde, la discussion était ouverte, et les théories les plus étranges avaient tour à tour prévalu. Aristote pensait qu’un corps est rouge, parce qu’il a en lui une certaine qualité qui le rend rouge, et cette explication a régné plus longtemps que la philosophie d’Aristote. Descartes attribua les couleurs à un certain mélange de lumière et d’ombre, et, sentant que ce mélange ne pouvait jamais produire que de la clarté ou de l’obscurité, il avait ajouté que les corps étaient diversement colorés, parce que les globules tournoyans qu’ils en voient tournent dans des sens divers. Quelques physiciens avaient cru qu’un corps est blanc, parce qu’il réfléchit plus de rayons qu’un corps bleu ou rouge, qui lui-même en réfléchit plus qu’un noir, et que les couleurs les plus brillantes sont celles qui portent aux yeux le plus de rayons ; mais un tableau à un jour faible et au grand jour est toujours le même. Éclairez à la lumière électrique un papier vert, il restera vert, quoiqu’il envoie des milliers de rayons, tandis qu’un papier blanc placé près d’une seule bougie sera toujours blanc. Les gens qui n’aimaient pas les hypothèses en revenaient donc toujours à cette opinion des péripatéticiens, qu’un corps est rouge parce qu’il a en lui une certaine qualité qui produit sur nos sens l’effet du rouge,

  1. Epître à Mme Du Chatelet sur la Philosophie de Newton.