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qui lui résiste, Il y a une conciliation secrète. L’architecte ne construit pas avec le bois comme avec la pierre ; le sculpteur conçoit d’une autre manière le modèle qui sera exécuté en marbre ou celui qui sera coulé en bronze ; le peintre ne peint point sur la toile ainsi qu’il peindrait sur un enduit frais ; à plus forte raison, l’industrie sera-t-elle assujettie aux conditions physiques des substances qu’elle emploie. La porcelaine blanche, d’un grain égal, couverte d’un émail luisant, se chargera des couleurs les plus vives, d’une profusion de détails qui ne sauraient jamais assez détruire sa monotonie éclatante. Telles ne sont point les habitudes de nos fabriques européennes, je le sais ; aussi n’ont-elles pour excuse que des motifs de netteté ou d’économie, motifs estimables, auxquels le véritable goût se laisse fort peu toucher. La terre cuite au contraire est d’un ton rougeâtre assez triste. Quelle que soit sa finesse, elle n’offre aux couleurs qu’un fond ingrat, grossier même, si on le compare au poli transparent de la porcelaine. La couleur ne peut s’y appliquer sans une épaisseur funeste, et toutes les couleurs n’y conserveraient pas leur valeur. De là un parti de décoration sobre, de là des harmonies austères. Nous sommes accoutumés à prêter aux Orientaux le don de la couleur : il nous semble juste que sous un ciel plus ardent les hommes aient une perception plus intense de la lumière et de ses effets. Van Eyck, Albert Durer et les maîtres flamands ont peint cependant dans les brumes du Nord ; quels artistes de l’Orient les ont égalés pour la splendeur du coloris ? Ne considère-t-on que les étoffes, les meubles, les armes, les produits de l’industrie ? Si nos œuvres paraissent pâles, ce n’est point par l’indigence des couleurs, c’est par leur richesse trop habilement fondue, par leurs nuances multipliées, par leur timidité, qui craint de heurter le goût. Le rose, le gris, le lilas, mille tons maladifs amortissent l’opposition des couleurs-mères, tandis que les dégradations savantes et le jeu des ombres en éteignent l’éclat. L’Asie au contraire n’emploie qu’un petit nombre de couleurs, mais elle n’aime que les plus vives ; elle les pose crûment, par teintes plates, sans modelé, sans reflets, sans clair-obscur ; elle tire de leur choc naïf une magnificence qui n’a d’autre règle que la fantaisie : ainsi nous charme la gerbe de fleurs que rassemble au hasard une main villageoise.

Voilà le secret de la supériorité des étoffes de Damas, des tapis de Turquie ou des porcelaines chinoises sur nos merveilles affadies. J’en trouve une preuve singulièrement sensible. Les Chinois fabriquent aujourd’hui des vases d’exportation ; initiés à nos procédés et connaissant nos goûts, ils veulent plaire (tant l’amour du gain assouplit les préjugés !), ils veulent plaire aux démons des mers : c’est le nom que nous donnent ceux que nous appelons des magots. En peignant les vases qu’ils nous destinent, ils s’efforcent de nous imiter ;