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étaient malheureusement destinés à périr. Les matières précieuses, au lieu de leur assurer une éternelle durée, les signalèrent plus tard à la cupidité des barbares. Les vases chinois eurent un autre sort. Recueillis avec une intelligente sollicitude, ils remplissent le musée impérial de Péking ; ils ont été dessinés, décrits, publiés en 1751 dans un grand ouvrage que possède notre bibliothèque de Paris. C’est en parcourant attentivement ces vingt-quatre volumes in-folio qu’on apprécie à sa juste valeur l’instinct plastique des Chinois.

On est frappé tout d’abord par la singulière imagination qui a enfanté des formes innombrables, les plus vulgaires et les plus élégantes, des caprices insensés et des combinaisons heureuses, des monstres hideux et de charmantes arabesques, des contours sans fin et des proportions excellentes. Entre ces deux extrêmes, Il y a toute une série de nuances ; mais les belles formes sont l’exception. Souvent, quand la décoration est exquise, le galbe du vase est mauvais ; s’il est bon, quelque accessoire fâcheux détruit l’effet des lignes : rien n’est plus rare qu’une œuvre irréprochable. Les cornets seuls doivent à la simplicité de leur principe une correction constante. On remarque avec surprise que parfois les Chinois ont trouvé les mêmes types que les Grecs. Tels vases lagènes, telles amphores, tels cratères, seraient dignes de la Grèce, si une moulure sans style, si des anses grotesques ne gâtaient la pureté du contour. Je me hâte cependant d’ajouter que certaines pièces eussent figuré avec honneur dans les ateliers de Corinthe ou d’Athènes. On conçoit qu’une fécondité déréglée, en essayant de tout, rencontrât quelquefois juste. La fantaisie qui tordait la matière et lui demandait l’impossible en faisait jaillir parfois un éclair subit. De même qu’un malade fiévreux prononce dans son délire des mots sublimes sans en avoir conscience, de même les artistes chinois n’avaient pas conscience des beautés qu’ils venaient de créer. Au lieu de s’y attacher, ils couraient plus loin pour retomber dans les formes bizarres et confuses. Ils portent donc leur propre condamnation. Trouver le beau sans le comprendre, un principe vrai sans en arrêter la formule, c’est la pire des cécités morales ; en toutes choses, l’infériorité de race se trahit.

Ainsi, malgré des ressemblances fortuites, les Grecs et les Chinois sont arrivés aux résultats les plus opposés dans l’art céramique. Les uns ont appliqué leur science du dessin sans y joindre le charme de la couleur, les autres cherchent le jeu des couleurs sans aucun souci de la science du dessin ; les premiers, n’attachant qu’une faible importance à la qualité de la matière, tiraient d’une poignée d’argile des formes admirables ; les seconds, insensibles à la perfection des formes, s’efforcent d’obtenir les matières les plus splendides qui éblouissent le regard à la façon des pierres précieuses. C’est pourquoi