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comme un livre dont tous les chapitres seraient écrits par un auteur étranger aux pages précédentes comme aux pages suivantes. Le lecteur soumis à ce régime aurait grand’peine à suivre ou même à pénétrer la pensée génératrice de l’œuvre placée dans ses mains. La peinture murale, privée d’une direction commune, n’inquiète pas l’esprit du spectateur d’une manière moins fâcheuse que ce livre écrit par tant de mains; elle excite la curiosité et réussit bien rarement à toucher le cœur. Les yeux se préoccupent du côté technique, ou se contentent de déchiffrer le sujet. L’esprit n’a pas le temps de s’acclimater dans la région qui s’ouvre devant lui, et trop souvent au bout du voyage il ne sait pas bien nettement ce qu’il a vu.

Tous ceux qui ont visité Rome se rappellent une petite église, San-Martino, qui, par son architecture, n’exciterait pas l’attention, mais qui doit aux paysages du Guaspre une, légitime célébrité. Les figures de ces paysages sont de Nicolas Poussin. Il est impossible d’imaginer rien de plus frais, de plus souriant ou de plus austère que ces compositions. Les sujets sont empruntés tantôt à l’Ancien-Testament, tantôt à la Vie des Saints, et l’aspect de la nature prépare l’esprit du spectateur à l’intelligence de la scène représentée. Les tableaux du Guaspre qui décorent les galeries ne donnent pas une idée de ces délicieux poèmes, où les personnages ne peuvent pas plus se passer du paysage que le paysage ne peut se passer d’eux. Le souvenir de San-Martino m’amène à regretter que la ville de Paris, pour la décoration de nos églises, ne commande pas plus souvent des paysages bibliques. M. Paul Flandrin à Saint-Séverin, M. Aligny à Saint-Étienne-du-Mont, ont produit en ce genre des ouvrages vraiment dignes d’attention. C’est un premier pas dans la voie que j’indique; mais il faudrait multiplier ces essais pour donner la mesure de l’école française dans le paysage historique. Tous les quatre ans, on ouvre un concours à Paris pour ce genre de peinture, et l’élève couronné va étudier pendant quatre ans en Italie et compléter son éducation. Que devient le talent de ces lauréats quand ils sont de retour en France? Il serait assez difficile de le dire : ce talent, quel qu’il soit, trouve bien rarement son application. La décoration de nos églises serait une occasion toute naturelle de savoir à quoi s’en tenir sur ce point délicat. Puisque l’état encourage à grands frais le paysage historique, le public voudrait savoir quels fruits portent ces encouragemens. C’est une curiosité qui ne doit étonner personne, et jusqu’à présent nous en sommes réduits aux conjectures, car les lauréats, ne pouvant tirer parti de leurs études spéciales, sont presque tous obligés de changer de route. Tantôt ils abandonnent résolument les enseignemens qu’ils ont reçus dans leur jeunesse et se mettent à copier la Normandie ou la Bre-