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On est vraiment fort bien dans ce kiosque. C’est ici que je veux vous lire… le Faust de Goethe…

— Et quand vous proposez-vous de revenir ? reprit-elle d’un air indifférent.

— Après-demain.

— C’est bien, me dit-elle ; je donnerai mes ordres.

En ce moment, Natacha, qui était entrée avec nous dans le kiosque, poussa un cri et se rejeta en arrière pâle et toute tremblante.

— Ah ! Maman ! s’écria-t-elle d’une voix émue et en montrant quelque chose dans un coin de la chambre, vois cette affreuse araignée !

Vera Nikolaïevna suivit le geste de l’enfant, et aperçut en effet une grosse araignée qui s’avançait lentement sur le mur. — Pourquoi te fait-elle peur ? dit-elle. Regarde, elle ne mord pas.

Et, avant que j’eusse le temps d’arrêter son bras, elle saisit la hideuse bête, la laissa courir sur sa main, et la jeta par terre.

— Vous êtes vraiment courageuse ! m’écriai-je.

— Comment cela ? Je n’ai couru aucun danger ; cette araignée n’est point venimeuse.

— Je vois que vous n’avez point oublié votre histoire naturelle. Quant à moi, je n’aurais touché à cette vilaine bête pour rien au monde.

— Je ne courais aucun danger, répéta Vera Nikolaïevna.

La petite Natacha, qui nous regardait en silence, se mit à rire.

— Comme elle ressemble à votre mère ! dis-je, en montrant l’enfant.

— Oui, me répondit Vera Nikolaïevna avec un sourire de satisfaction, et je m’en réjouis. Dieu veuille que cette ressemblance ne se borne pas aux traits !

On vint nous dire que le dîner était servi, et aussitôt qu’on se fut levé de table, je partis. Demain je leur porte Faust, mais si Goethe et moi nous allions faire fiasco ! Je te décrirai la séance avec détail.

Et maintenant dis-moi un peu ce que tu penses de mon aventure. Tu ne manqueras pas de la trouver fort étrange, et tu supposeras sans doute que mon cœur va s’enflammer. Sottise que tout cela, mon ami ! Il est temps de se ranger. Ce n’est point à mon âge que l’on recommence à vivre. D’ailleurs je n’ai jamais eu de goût pour les femmes de ce caractère. Après tout, quelles sont les femmes qui m’aient vraiment plu ? Je rougis des idoles que j’ai encensées. Je me félicite de ce voisinage, je me réjouis de pouvoir renouer connaissance avec une personne intelligente, naïve et douce. Quant au reste, tu le sauras quand le moment sera venu.