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rallié au compromis, et avait employé toute son influence à le faire accepter par ses concitoyens : ce fut un titre suffisant à la confiance des électeurs. On réimprima les discours qu’il avait prononcés dans quelques réunions : ces discours, à défaut d’éloquence, se recommandaient par la netteté et la précision, ils furent d’autant plus goûtés qu’à l’époque où ils avaient été prononcés, personne, à commencer par M. Pierce, n’avait supposé qu’ils pourraient conduire l’orateur à la présidence. M. Pierce fut donc élevé à la première magistrature par le concours et les sympathies de tous les hommes modérés ; son élection parut un gage de réconciliation entre le nord et le sud, et on put croire un instant qu’elle mettrait fin à cette redoutable agitation qui avait failli couper en deux la confédération.

Il en eût été ainsi sans doute, si M. Pierce, comme M. Fillmore trois années auparavant, s’était trouvé à la hauteur de sa position. Il était au contraire destiné à faire voir quel est l’inconvénient de ces transactions qui, pour désarmer des rivalités de personnes, font arriver au pouvoir des hommes médiocres, sans autorité personnelle et sans expérience des affaires. Avec un peu de tact et de décision, M. Pierce aurait compris la nécessité de ne se mettre dans la dépendance d’aucune coterie, et d’adopter une politique nette et vigoureuse. Homme du nord, il lui était plus aisé de contenir les abolitionistes et les free-soilers ; partisan avoué du compromis, élu comme tel en concurrence avec un free-soiler, il ne pouvait être suspect au sud, et il pouvait imposer aux partisans de l’esclavage le respect de la légalité. Une démonstration faite à propos par M. Pierce aurait mis le Kansas à l’abri des entreprises du Missouri, comme une proclamation de M. Fillmore avait préservé le Nouveau-Mexique des envahissemens du Texas. En faisant ainsi plier tous les partis sous l’autorité de la loi et l’ascendant du gouvernement, M. Pierce aurait étouffé tous les germes de division à mesure qu’ils se seraient produits : le calme aurait achevé de renaître dans les esprits, et l’apaisement des passions aurait prévenu le retour des anciens dissentimens. Malheureusement M. Pierce ne comprit ni quelle force morale lui donnait le caractère tout particulier de son élection, ni quels devoirs lui imposaient les circonstances. Doutant de lui-même, effrayé de sa propre inexpérience, reculant dès le premier jour devant l’exercice de son autorité, il ne sut que livrer le pouvoir au parti qui l’avait élu.


II

La situation demandait des hommes nouveaux qui ne se fussent point compromis dans les luttes du passé, et qui eussent ainsi une entière liberté de mouvemens. M. Pierce appela à lui les chefs des