Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 6.djvu/667

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plaines arrosées par les deux rivières de Kansas et de Nebraska ; mais ces plaines avaient été interdites à l’esclavage par le compromis du Missouri, et déjà les pionniers de l’Illinois, ceux de l’Iowa surtout, commençaient à y construire leurs cabanes. Fallait-il qu’une ligne imaginaire, tracée sur les cartes de géographie, vînt arrêter les planteurs du Missouri, et avec eux toute une moitié de l’Union dans leur mouvement d’expansion ? De quel droit le congrès de 1821 avait-il statué sur le sort de ces vastes contrées, où pas un Américain n’avait encore pénétré, lorsqu’on décidait arbitrairement de leurs destinées ? Les terres fédérales n’étaient-elles pas la propriété de tous les Américains indistinctement ? Et parce qu’un citoyen du Missouri et de l’Arkansas était propriétaire d’esclaves, était-il pour cela déchu de sa qualité d’Américain ? pouvait-il être exclu du patrimoine commun ? Telle est la thèse que le sud se prépara à soutenir.

Les démocrates du nord, en cette occurrence, se firent encore une fois les instrumens de leurs alliés ordinaires et les serviteurs complaisans de l’esclavage. Un de leurs chefs, M. Douglas, qui avait aspiré à la présidence en 1852, et qui comptait se remettre sur les rangs en 1856, vit là une occasion merveilleuse de s’assurer les sympathies du sud. Sénateur pour, l’état libre d’Illinois, mais propriétaire d’un grand nombre d’esclaves dans le Missouri, M. Douglas était d’ailleurs personnellement intéressé dans la question. Il présenta un bill pour ériger en deux territoires distincts les établissemens formés sur les bords du Nebraska et sur les bords du Kansas ; seulement, par application, disait-il, du principe du compromis de 1850, il demandait qu’on laissât aux habitans des deux futurs territoires le soin de statuer ultérieurement sur la question de l’esclavage. Cette proposition insidieuse était présentée comme un nouvel hommage à la doctrine de la souveraineté des états. La Californie, n’étant encore que simple territoire, s’était donné des lois de son autorité privée, et une de ces lois avait interdit l’esclavage ; le congrès n’en avait pas moins admis la Californie dans l’Union avec des lois qu’il aurait eu le droit d’annuler. En même temps il avait laissé aux habitans du Nouveau-Mexique la faculté de statuer sur la question de l’esclavage. Le congrès semblait donc, pour ce qui concerne l’esclavage, avoir renoncé à exercer son pouvoir législatif sur les territoires, et avoir laissé le champ libre à l’initiative des citoyens. Il fallait, relativement aux territoires de Nebraska et de Kansas, s’inspirer de l’esprit qui avait dicté les résolutions de 1850, et laisser les habitans de ces territoires maîtres d’en régler la destinée. Après des débats acharnés dans les deux chambres, le bill présenté par M. Douglas fut voté, grâce à la coalition des démocrates du nord, qui firent cause commune avec les représentans du sud, et le président, qui était personnellement peu favorable à la mesure, n’osa refuser