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l’Histoire d’un Cœur[1]. Hertha est une jeune fille douée en même temps d’une imagination ardente et d’un caractère sérieux, comme cela arrive souvent aux femmes du Nord. Sa charité dévouée ne s’accommode pas des liens étroits où la retient légalement un père avare et dur. Celui-ci refuse son consentement à un mariage qui rendrait sa fille heureuse et libre, car il ne veut pas être obligé de lui rendre des comptes ni de se dessaisir d’une partie de sa fortune ; Hertha sait cependant qu’il compromet par des spéculations malheureuses cette fortune qui est la sienne et celle de ses jeunes sœurs privées de leur mère. Aux termes de la loi suédoise, elle n’a qu’un moyen d’arracher des mains d’un tel père son patrimoine, instrument nécessaire des charitables desseins qu’elle a conçus : c’est de se marier avec le généreux jeune homme qui se fera le compagnon de son dévouement. À défaut du consentement paternel, elle n’a qu’un recours : c’est de citer son père en justice et d’obtenir des tribunaux suédois qu’il soit forcé de consentir à son mariage. Hertha préfère le martyre et la mort à cette poursuite contre nature. Son ambition était de consacrer sa vie à l’affranchissement des femmes, ses sœurs, à qui une société despotique interdit la libre disposition de leur fortune, de leur esprit et de leur cœur ; elle avait rêvé, pour tout dire, l’émancipation des femmes : elle meurt sans avoir pu accomplir son dessein, mais en laissant au lecteur et aux députés de la diète suédoise, à l’adresse de qui le livre est écrit, une supplique assez étrange, accompagnée d’assez bizarres prédictions. Toutefois le livre de Mlle Bremer, où l’émotion s’élève souvent à l’éloquence, a fait sensation dans la société suédoise. L’opinion publique s’était bien souvent déjà préoccupée en Suède de ce grave sujet.

L’opinion publique et la diète seront-elles favorables à l’autre réforme dont le roi Oscar va prendre l’initiative, celle qui concerne l’indépendance religieuse ? On a quelque droit de l’espérer. Voici les paroles mêmes du discours de la couronne : « A l’église protestante et au peuple dont le grand roi Gustave-Adolphe a fondé de ses victoires et de son sang la liberté d’esprit dans l’Allemagne centrale, il appartient d’établir une tolérance fondée sur des convictions inébranlables et sur le respect de la foi d’autrui. Les dispositions législatives qui mettent obstacle à la liberté religieuse doivent donc disparaître, et la loi générale doit se rapprocher davantage de l’esprit du paragraphe 16 de la constitution. Une proposition à cet effet et pour l’abolition de la peine de l’exil vous sera présentée. » On voit par les paroles mêmes du roi, si on ne se le rappelait à l’avance, où en est la législation religieuse de la Suède à l’endroit des dissidens, quels qu’ils soient, catholiques ou protestans. La plus ancienne loi sur la matière est celle du roi Charles XI, publiée en 1687, et qui dispose que quiconque se sépare de la religion officielle sera condamné à la perte de ses emplois et à l’exil, et deviendra incapable de succéder. La loi publiée par Gustave III, tout en proclamant une sorte de tolérance, adoucissait sans la corriger cette législation barbare. Elle disait : « Les états nous ont représenté qu’il fallait sévir vigoureusement contre ceux qui abandonnent notre religion pour en adopter une autre… Toutefois, nous permettons libre culte à chaque communion, avec des écoles libres et, des prêtres pour chacune d’elles. » — La constitution de 1809, celle qui est restée

  1. Chez Reinwald, 1 vol. in-12.