Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 6.djvu/711

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nous ont enseigné ce que vaut la poésie lyrique dans le monologue. Depuis Echyle jusqu’à Shakspeare, depuis Sophocle jusqu’à Schiller, nous voyons la forme lyrique utilement employée toutes les fois qu’il s’agit de l’expression d’un sentiment qui ne trouverait pas à s’épancher librement en présence d’un témoin ; mais dans le dialogue, dans l’action, les grands maîtres que je viens de nommer se gardent bien de prodiguer les images. Ils usent de la métaphore avec sobriété. Ces principes sont combattus, mais non pas réfutés par les drames de Victor Hugo. M. Bouilhet, qui connaît l’antiquité, ferait bien de la consulter plus souvent, ou plutôt d’interroger le souvenir de ses premières études. En relisant l’OEdipe-Roi et les Coéphores, l’Electre et les Euménides, il s’étonnerait des idylles, des élégies, des odes qu’il a prodiguées dans Madame de Montarcy. Ce n’est pas à lui qu’appartient cette méprise, je le sais : il n’a fait que suivre la voie ouverte par M. Victor Hugo ; mais le guide qu’il a choisi ne le justifie pas. Si l’auteur d’Hernani voulait recommencer aujourd’hui ce qu’il a fait pendant treize ans, de 1830 à 1843, et donner à des odes, à des élégies un baptême historique, il s’apercevrait avant la fin de la soirée que l’esprit de la jeunesse n’est plus avec lui. Si le parterre a témoigné à M. Bouilhet plus d’indulgence qu’il n’en témoignerait à son maître, il ne faut pas s’en étonner : la trivialité des compositions qui occupent la plupart de nos théâtres a depuis longtemps lassé sa patience. En écoutant de beaux vers signés d’un nom nouveau, il a ressenti une émotion joyeuse, et n’a pas hésité à battre des mains. Ses applaudissemens étaient une protestation contre la vulgarité des inventions qu’on nous donne pour des prodiges d’habileté. Si les vers étaient signés du nom de Victor Hugo, j’ai la ferme conviction qu’il serait plus sévère, et pourtant j’ai dit tout à l’heure que le parterre avait applaudi M. Bouilhet en souvenir de Victor Hugo. Comment expliquer, comment justifier cette contradiction ? Par un sentiment d’équité plus commun chez la jeunesse que chez les hommes d’un âge mûr, que la satiété rend parfois trop exigeans. Victor Hugo a donné sa mesure par des œuvres nombreuses ; il faut absolument qu’il se renouvelle et grandisse sous peine de déchoir. M. Bouilhet n’avait pas encore donné la sienne. La justice voulait donc qu’il fût écouté avec indulgence, avec sympathie, puisqu’il parle facilement une langue harmonieuse. Quand viendra pour lui une seconde épreuve, il sera jugé plus sévèrement, et j’espère qu’il sera dégagé de toute imitation.

Si les dangers de la complaisance dans le domaine littéraire avaient besoin d’être établis, ce qui vient de se passer à propos des Faux Bonshommes ne laisserait aucun doute à cet égard. Tout le monde a pu lire de ses yeux ou entendre de ses oreilles que la vraie comédie était retrouvée, qu’il y avait dans l’œuvre nouvelle de M. Barrière des scènes qui, par leur franchise et leur vivacité, rappelaient la manière et le style des maîtres de l’art. Ceux qui parlaient, ceux qui écrivaient ainsi étaient-ils de bonne foi ? Je consens à le croire. L’expression de la vérité est tellement tombée en désuétude, c’est un caprice désavoué si obstinément par nos mœurs, que la différence des inventions vieillies et des inventions neuves a fini par s’obscurcir. Je ne serais donc pas étonné quand les louanges données aux Faux Bonshommes seraient données avec une pleine conviction. M. Barrière passe pour un homme d’esprit, et sans doute ceux qui le disent ont d’excellentes