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ignorer la valeur de ce mot, je me hâte d’ajouter qu’il s’agit du trait final du couplet. M. Barrière, en écrivant les Faux Bonshommes, a peut-être pensé qu’il avait, sous la main une vraie comédie, et pour ne pas laisser dans l’ombre une parcelle, si petite qu’elle fût, des idées qui lui semblaient ingénieuses, il a supprimé le bruit de l’orchestre. À mon avis, c’est une grave maladresse. Seule et nue, son œuvre trahit son insuffisance. Avec le secours des violons, qui sait si le dialogue n’eût pas paru nouveau ?

Le sujet choisi par M. Barrière se refusait-il donc à la comédie ? Non sans doute, et les hypocrites qui font leur chemin en se couvrant du masque de la bonté ne sont pas aujourd’hui un type imaginaire. En fouillant dans sa mémoire, chacun de nous se rappelle quelque bon camarade habitué à ne jamais médire de personne, indulgent pour toutes les faiblesses, habile à expliquer, à excuser toutes les apostasies, et qui pourtant au besoin, en petit comité, emporte le morceau. À ceux qui blâmaient son indulgence, ses amis répondaient hardiment : Ne croyez pas qu’il soit dupe de l’homme qu’il vante et qu’il accueille, il sait mieux que vous à quoi s’en tenir sur son compte ; il est plus fin que vous. Voici le mot que j’ai entendu et qui vous donnera la mesure de sa pénétration. Seulement ce mot décisif, ce mot triomphant, n’était jamais dit que devant les affiliés, devant des oreilles discrètes. Quand il était répété, le danger avait disparu ; la victime était sans crédit, sans pouvoir. Assurément Il y a là un sujet de comédie. Pour le traiter, il ne reste plus que deux choses à faire, deux bagatelles en vérité qui ne sont pourtant pas sans importance : inventer des personnages et une action. C’est pour avoir négligé ces deux bagatelles que M. Barrière a fait une œuvre qui ne doit laisser aucun souvenir. En présence des marionnettes qui vont et viennent sur la scène et semblent jouer à colin-maillard, puisqu’elles se rencontrent sans qu’on sache pourquoi, j’aurais mauvaise grâce à parler de style. Si je parlais de grammaire, je m’exposerais au sort de saint Etienne. Sur ces deux chapitres, les rapins ne sont pas difficiles, et M. Barrière s’est contenté de transcrire les facéties des rapins. Il rirait de moi, si je lui demandais pourquoi un de ses personnages sort de sa poche une bourse ou un portefeuille. Il me répondrait que cette locution est très bien portée, et je serais réduit au silence. J’en passe et des meilleures, et je reconnais en toute humilité que de telles chicanes n’ont rien à démêler avec l’art dramatique.

Je voudrais pouvoir louer les Pauvres d’esprit, que M. Léon Laya vient de donner au Théâtre-Français, car c’est un homme spirituel et laborieux, et la réunion de ces deux qualités ne se rencontre pas souvent ; mais s’il m’était permis de parler avec indulgence des Jeunes Gens, qui ont obtenu un légitime succès, quoique dépourvus d’élévation, je suis obligé de mentir ou de parler avec sévérité des Pauvres d’esprit. J’avais reproché à M. Laya, en termes très bienveillans, de confondre le vaudeville avec la comédie, et de prendre la gaieté pour la raillerie. Hélas ! mon Dieu, il ne m’a que trop écouté, et s’est mépris étrangement sur le sens de mes paroles. Il n’y a pas un grain de gaieté dans les Pauvres d’esprit, c’est une justice que je dois rendre à l’auteur ; malheureusement je suis forcé d’ajouter à mon grand regret qu’il n’y a pas une scène de comédie.

Le sujet par lui-même ne se prêtait guère aux développemens railleurs