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les plus vigoureux talens ; de l’autre, chez le public, le dégoût est né de la satiété. Enfin, au spectacle de nos convulsions sociales, on a fini par comprendre, — ce dont il semblait qu’on ne se fût pas douté jusqu’alors, — qu’il y a un lien étroit entre le monde moral et le monde des lettres, qu’une littérature peut exercer sur la société, suivant les tendances qu’elle affecte et les idées dont elle s’inspire, une influence ou salutaire ou funeste, et que ce n’est pas impunément qu’une génération tout entière s’abreuve à des sources empoisonnées.

Quoiqu’il en soit, plus d’une renommée a grandement souffert du changement qui s’est accompli dans les esprits. Que d’illusions dissipées ! que d’engouemens dont nous rougissons aujourd’hui ! que d’enthousiasmes dont nous nous étonnons d’avoir été dupes ! Nous n’avons besoin d’écrire ici aucun, nom : chacun peut faire la liste, trop longue, hélas ! de nos gloires contemporaines pour qui l’oubli de la postérité est déjà venu.

À cette justice, qui pour être tardive n’en est pas moins sévère et qui frappe plus d’un écrivain encore plein de vie, il semble pourtant qu’une exception soit faite : un nom, un nom seul paraît grandir lorsque tant d’autres déclinent. Chose singulière, c’est le nom d’un homme mort depuis plusieurs années déjà, envers qui par conséquent l’impartialité était plus facile et la critique plus à l’aise ; c’est le nom d’un écrivain qui a joui, il est vrai, à une certaine époque, d’une grande faveur, mais dont la popularité vers la fin de sa vie avait prodigieusement pâli, si bien que la mort, loin de lui nuire, semble avoir ravivé tout à coup l’éclat terni de ce nom et amené pour cette gloire à demi fanée comme un reverdissement inattendu. Nous voulons parler de M. de Balzac. Il a en effet, depuis qu’il est mort, une rare bonne fortune. Autour de son nom, c’est un concert et comme une émulation universelle de louanges. Jusqu’aux adversaires d’autrefois font chorus avec les admirateurs d’aujourd’hui ; il semble même qu’on ait peur de ne pas se faire pardonner par assez d’éloges pour le mort les critiques adressées jadis au vivant. Les hyperboles que l’amitié ou un enthousiasme de commande avait jetées sur la tombe du romancier, on nous les donne maintenant pour les jugemens de l’histoire. La Comédie humaine est proclamée le chef-d’œuvre, le monument littéraire et philosophique du XIXe siècle : on n’entend retentir de toutes parts que les noms de Cervantes et de Walter Scott, de Shakspeare et de Molière, et des éditions innombrables multiplient chaque jour, sans exception et sans choix, les soixante ou quatre-vingts volumes qui composent l’œuvre entière de l’incomparable conteur !

C’est peu des admirateurs ; il y a eu les dévots, qui, comme autrefois