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doute universel qui agite les esprits, préoccupé de cette irrémédiable décadence du catholicisme qu’il vient de signaler, et cherchant à dégager sous sa forme nouvelle la pensée religieuse dont il prédit le règne, l’auteur annonce au monde que cette religion qui héritera des cultes décrépits du présent, c’est le mysticisme. Il explique avec une merveilleuse assurance comment il y a entre le principe du mysticisme et celui du christianisme primitif une identité absolue ; puis, esquissant à grands traits l’histoire de la doctrine mystique, il la montre venant de l’Inde, son berceau, à Memphis, où Moïse s’en inspire ; gardée à Eleusis et à Delphes, comprise par Pythagore, formulée par Jésus-Christ et par saint Jean, et, à travers les ténèbres du moyen âge, transmise obscurément par l’Université de Paris jusqu’à Swedenborg, qui en a été le dernier et sublime révélateur. On chercherait longtemps assurément avant de trouver entassés en moins de pages, et avec plus d’emphase, autant d’énormités historiques et de non-sens philosophiques. Et pourtant il semble bien que c’est là qu’il faut chercher la vraie pensée de l’auteur. Lui-même prend soin de déclarer que dans ce Livre mystique se trouve formulée l’idée philosophique « répandue comme une âme » dans tous ses autres écrits. Qu’est-ce donc que le Livre mystique, et quelle est cette âme dont le souffle remplit l’œuvre de l’écrivain ? C’est précisément ce que nous cherchons, et il vaut la peine de s’y arrêter un instant.

Le Livre mystique se compose de deux parties, la partie philosophique et la partie apocalyptique ou lyrique, Louis Lambert et Seraphita. Ni l’une ni l’autre ne sont fort intelligibles. Il faut un certain courage pour suivre les divagations métaphysiques du jeune écolier de Vendôme ; il en faut plus encore pour subir les emphatiques déclamations de la jeune adepte de Swedenborg. Essayons cependant d’en donner une idée.

La pensée philosophique de Louis Lambert, il n’y a pas à s’y méprendre, c’est un franc matérialisme. Le monde entier est le produit d’une substance unique, éthérée, principe connu sous les noms divers d’électricité, chaleur, lumière, fluide galvanique, magnétique, etc. La volonté n’est que cette substance transformée, ce fluide concentré par le cerveau de l’animal. La pensée n’est pareillement qu’une modification de la même substance[1]. La pensée est donc matérielle ; elle est une puissance toute physique[2]. C’est, s’il faut en croire l’auteur, à la lumière de ces grandes vérités que le spiritualisme et le matérialisme, en lutte depuis des siècles, vont s’embrasser et se fondre en une seule doctrine.

  1. Louis Lambert, p. 337-338, in-8o 1835.
  2. « Aussi la pensée m’apparaissait-elle comme une puissance toute physique accompagnée de ses incommensurables générations. » (Louis Lambert, p. 190-208.)