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des idées plus saines, des convictions plus fermes qu’en matière de philosophie et de religion ?

Dans cette préface de la Comédie Humaine, que nous avons déjà citée, on lit cette phrase solennelle : « J’écris à la lueur de deux vérités éternelles, la religion et la monarchie. » Monarchique, nous croyons en effet que M. de Balzac l’a été au fond, de cœur et d’instinct, toute sa vie ; mais comment ? mais dans quelles limites et dans quelles conditions ? Il est évident pour nous que, sous ce mot de monarchie, il a admis, il a professé des idées aussi vagues, aussi incohérentes, aussi contradictoires que celles qu’il a émises sous le mot de religion.

La chute de la restauration avait brisé ses premières espérances d’ambition. Moitié rancune, moitié vanité, il prit alors, nous l’avons dit, le rôle de partisan de la légitimité et du gouvernement tombé : il se posa en adversaire systématique du régime nouveau ; il railla impitoyablement cette bourgeoisie qui venait de prendre en main le pouvoir et les affaires ; il en fit la satire et même la caricature. C’est l’esprit de la Peau de Chagrin et plus tard de César Birotteau. Bientôt d’autres idées percent dans ses écrits. De la monarchie constitutionnelle légitime, ses prédilections passent à l’empire : admirateur de Napoléon, il ne reconnaît plus d’autre principe de gouvernement que la force ; les institutions libérales sont autant d’inventions qui mènent la société à sa perte ; c’est le fond des théories du Médecin de Campagne. Dans les Paysans, il fait un pas de plus en arrière : de la restauration, il est déjà remonté à l’empire ; de l’empire, le voilà qui rétrograde au-delà de 1789, jusqu’à l’ancien régime, jusqu’au régime féodal. La haine de cette grande œuvre d’émancipation qu’a su accomplir la révolution française, de tous les progrès qu’elle a réalisés dans nos institutions et nos lois, de l’égalité civile, de la liberté civile et politique, de l’affranchissement des personnes et de la propriété ; la haine, pour tout dire, de notre société moderne tout entière et de tous les principes dont elle vit, c’est la en effet l’inspiration de ce triste livre ; le l’établissement de la féodalité, de la dîme et de la corvée, les majorats et la main-morte, l’ignorance pour le peuple, qui est corrompu depuis qu’il sait lire, ce sont la les conclusions auxquelles il aboutit à travers d’abominables peintures.

Voilà donc les diverses monarchies dont M. de Balzac a été successivement le théoricien et l’apôtre : on se demande s’il se rendait bien compte à lui-même de ce qu’il pensait, de ce qu’il voulait. Ce qui est plus étrange, c’est que, chez ce prôneur de l’absolutisme et du régime féodal, on rencontre parfois (tant est grand le désordre de ses idées !) des maximes qu’on dirait empruntées aux modernes