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mettre en peine pour la morale publique. Si cette moquerie traditionnelle n’a pas eu à la longue une influence fâcheuse en altérant le respect dû au mariage, c’est ce qu’on pourrait peut-être se demander. Sans y mettre de sotte pruderie, sans vouloir couper les ailes à la muse légère de la comédie et du conte, ni interdire au nom de la morale toute plaisanterie au sujet du mariage, il nous semble qu’Il y a des bornes à cette licence et qu’une condition est toujours sous-entendue, celle de ne pas blesser l’honnêteté, de ne pas souiller les imaginations, de ne pas outrager les sentimens sacrés sur lesquels repose la famille. Or cette condition, M. de Balzac n’a pas su la respecter, et voilà pourquoi, à notre sens, son livre mérite d’être frappé d’un blâme sévère.

Même au point de vue littéraire, il y aurait bien des restrictions à faire, selon nous, aux éloges qu’on lui a donnés. C’est une œuvre longue et diffuse, indigeste et prétentieuse, où la plaisanterie trop prolongée s’alourdit de formes pédantesques et se traîne en dissertations sans fin. Il y a de l’esprit, il est sans grâce ; de l’observation, elle est sans délicatesse. Le bon goût, la distinction font partout défaut, et le libertinage y est assaisonné d’un sel souvent grossier. Là où le satirique, le moraliste, le peintre de mœurs auraient eu à tracer des scènes piquantes ou gracieuses, à châtier des ridicules ou des vices, l’auteur développe pesamment des théories bizarres, émet doctoralement des apophthegmes licencieux, et se complaît en toute sorte de détails scabreux et d’anecdotes graveleuses. Il ne manque pas de gens pourtant qui vous parlent de la Physiologie du Mariage comme d’un des meilleurs titres de gloire de M. de Balzac, ou tout au moins qui le citent comme celui de ses écrits où éclate le plus l’originalité de son esprit. Nous sommes encore obligé, quoi qu’il en coûte, de combattre ici ce qui nous paraît être une illusion. Non, il n’y a dans le livre de M. de Balzac aucune originalité : il en a emprunté l’idée, comme il a emprunté celle de beaucoup de ses romans, et la forme même ne lui appartient pas en propre. Pour le style comme pour les idées et les sentimens, il a imité Stendhal. Le livre De l’Amour, publié pour la première fois en 1819, mais qui n’arriva que bien plus tard, et grâce aux éloges enthousiastes de Balzac lui-même, à une certaine notoriété, le livre De l’Amour, que l’auteur appela aussi la physiologie de l’amour, a été le modèle, le type de la Physiologie du Mariage. La ressemblance est frappante. Dans l’un comme dans l’autre ouvrage, c’est le même sensualisme grossier et le même matérialisme médical ; c’est le même culte du plaisir et la même absence de tout sentiment moral ; dans l’un comme dans l’autre, c’est la même affectation des formes scientifiques, le même dogmatisme prétentieux, le même parti pris de bizarrerie. Il