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l’œuvre destinée à immortaliser leur nom. M. de Balzac s’appelait volontiers lui-même un Van-Dyck ; il eût mieux fait, c’était assez pour sa gloire, de se contenter d’être un Gérard Dow. Ses tableaux de chevalet étaient charmans ; ses grandes compositions sont, pour la plupart, détestables. Il a faussé sa manière en l’outrant. Pour être énergique, il est devenu brutal, et, à force de pour suivre le réel, il est tombé dans le réalisme.

Il y a d’ailleurs une remarque à faire sur le caractère de son talent. C’est par le petit côté que M. de Balzac a considéré et étudié la nature humaine. Il a vu l’homme, et presque toujours il y a peint en petit et en laid. Ce sont les vices bas, les jalousies honteuses, les haines misérables, qu’il se complaît et excelle à étudier, à fouiller dans les derniers replis. Certes ce côté de la vie appartient au romancier, l’art peut y trouver une mine féconde qu’il a bien le droit d’exploiter ; mais si c’est là une part de la vérité et de l’art, ce n’est pas l’art complet ni la vérité entière. Si c’est une face de la nature humaine, ce n’est pas la nature humaine pleinement et impartialement reproduite. Si c’est la peinture de certains caractères ; la satire de certaines mœurs, on n’a pas le droit d’appeler cela la comédie humaine. De même que le chantre de Béatrice avait, dans le cadre de sa Divine Comédie, déroulé le drame mystique de l’humanité, M. de Balzac s’est persuadé qu’il avait, lui aussi, chantre d’une épopée nouvelle et sous la forme moderne du roman, édifié un monument semblable, qu’il avait écrit dans sa Comédie humaine l’histoire de l’homme et le drame de la société au XIXe siècle. C’est là tout simplement le délire de l’orgueil. Quant à ceux qui depuis ont prononcé les noms redoutables de Molière et de Shakspeare, ne sont-ils pas tombés dans une exagération plus ridicule encore ?

Que M. de Balzac ait dessiné des types excellens, tracé des portraits exquis, nous l’avons dit et nous nous plaisons à le répéter ; mais s’il a peint des figures d’hommes, il n’a jamais peint l’homme lui-même. Il a créé des types particuliers ; il n’a pas reproduit la nature humaine dans son universalité et son ampleur, dans ses traits généraux et essentiels. Les physionomies qu’il dessine sont vives, spirituelles, mais trop souvent bizarres et extraordinaires. Trop souvent ce sont des individualités piquantes et des exceptions plutôt que des caractères simples, unis, vrais comme la nature.

Lui-même a pris soin de nous expliquer sa théorie sur ce point ; elle est assez curieuse, assez caractéristique surtout, pour valoir qu’on la rappelle. Dans la préface de la Comédie humaine, il expose comment le monde social a son type dans le monde animal, et comment les diverses espèces sociales sont aussi distinctes entre elles que les diverses espèces zoologiques. « La société, dit-il, ne fait-elle pas