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populaire donnera une idée des exactions et de la rapacité de ces bardes indiens.

Au temps du mariage de sa fille, un prince natif des temps mythologiques avait fait serment de satisfaire pendant un an toutes les demandes que les charans pourraient lui adresser. Aussi, bien avant que l’année fût révolue, s’était-il dépouillé de ses chevaux, de ses armes, de son argent, de ses pierreries, quand un charan dernier venu, connaissant son dénûment, lui demanda sa tête. Le fier nabab, pour satisfaire à sa parole, s’empressa de la trancher de sa propre main pour l’offrir au solliciteur. On ne doit pas trop s’étonner que depuis lors, et pour éviter prudemment la répétition de demandes aussi indiscrètes, les descendans de Nahur-Khan aient adopté la coutume de mettre leurs filles à mort dès leur naissance. — Sortons de la légende pour rentrer dans les détails, malheureusement trop réels, d’une pratique détestable qui détruit chaque année des milliers d’êtres humains. Chez les Rajpoots, le père n’est souvent même pas consulté, et le nouveau-né est mis à mort par la mère ou, dans les familles de haut rang et de fortune, par les serviteurs, avec moins de formalités et plus d’indifférence que l’on n’en met à supprimer une portée importune de jeunes chats ou de jeunes chiens. Le mode de destruction varie suivant les localités et les ressources du moment. Ici l’enfant est étouffé au moyen du cordon ombilical, la il est noyé dans une fosse remplie de lait : une pilule mortelle ou, détail plus horrible encore, un poison subtil appliqué au sein de la mère accomplit bien des fois l’œuvre homicide. Souvent enfin l’enfant est mis dans un panier, d’où il ne sort que pour être jeté dans un trou ou abandonné en pâture, dans un endroit désert, aux tigres et aux chacals.

Les moyens de répression les plus divers ont été tentés sous l’inspiration du gouvernement de l’Inde ; malheureusement il faut constater que l’étendue du mal a défié jusqu’à ce jour les efforts les plus énergiques. Les Rajpoots, comme d’autres tribus de l’Inde centrale et orientale, ne sont pas directement sujets de l’Angleterre. Les traités dans lesquels les chefs de ces états féodaux reconnaissent le protectorat de leur puissant voisin européen leur assurent en compensation la libre administration des affaires intérieures de leurs domaines. Entrer dans une voie de répression active, chercher à extirper la pratique de l’infanticide par la force des armes, c’était rompre avec les traditions de cette diplomatie heureuse et habile, qui a, sans coup férir, assuré la suprématie de l’Angleterre dans cette partie de l’empire indien, c’était s’engager dans une série de guerres interminables. L’intérêt bien compris de la chose publique ne permettait donc au gouvernement d’intervenir que par des négociations diplomatiques, qui ont été de longue date entamées sans interruption, malheureusement aussi sans résultats sérieux. Dès les premières années du