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cinq heures du soir. Chaque détenu reçoit comme ration journalière une livre et demie de riz ou de gruau.

Tenue comme elle l’est, avec une discipline et une propreté remarquables, la geôle d’Alipore le cède cependant, sous beaucoup de rapports, à celle d’Agra. Entrons un moment dans l’enceinte de la prison du chef-lieu des provinces nord-ouest. La maison centrale d’Agra s’élève au milieu de la ville, en face de la cathédrale catholique : position pleine d’inconvéniens pour les habitans voisins et qui a depuis longtemps excité de vives réclamations. L’établissement n’a pas été bâti sur un plan régulier, mais en raison des besoins du service ; toutefois les bâtimens de construction récente ont été disposés de manière à rayonner vers un centre commun, système de construction qui rend la surveillance beaucoup plus facile. Aux alentours de la prison, des escouades de détenus, les fers aux jambes, s’occupent de travaux de terrassement, de coupe des pierres, avec un zèle qui rappelle celui des travailleurs des ateliers nationaux de 1848. Une allée flanquée de murailles élevées conduit de l’enceinte extérieure à la seconde porte de la prison ; de droite et de gauche se tiennent des groupes de natifs qui attendent avec une égale apathie l’heure de la liberté, l’heure de l’écrou ou du travail extérieur. Au guichet de la seconde enceinte, quatre hommes et un caporal remplacent les gardes du corps au turban rouge et au pittoresque cimeterre chargés de protéger la personne du visiteur à la geôle d’Alipore, et la visite commence par les condamnés à vie. Réunis dans des sortes de parcs grillés au milieu desquels s’élève le bâtiment qui leur sert de logement, ces hommes s’occupent à des travaux de corderie et de toilerie grossière. Quelques-uns parmi eux sont encore marqués au front d’un stigmate indélébile, quoique cette peine ait été rayée depuis plus de vingt ans du code anglo-indien. On me fait remarquer que les condamnés à vie sont plus faciles à conduire que les autres hôtes de la prison, la très grande majorité se composant plutôt d’hommes poussés au meurtre par des passions violentes, la jalousie, la vengeance surtout, que de scélérats endurcis dans le crime.

Les condamnés à temps sont disséminés dans de vastes ateliers bien aérés, où ils se livrent aux professions les plus diverses. Voici des relieurs, des selliers, des faiseurs de tapis, des imprimeurs, des lithographes. L’un de ces derniers me remet au passage un plan de Sébastopol qui vient de sortir à l’instant de dessous la pierre. Dans tous ces ateliers règne un silence profond ; l’attitude des détenus est pleine de soumission, et en effet les hommes indisciplinés sont employés à des travaux pénibles. On les occupe aux moulins à blé, à huile, surtout aux pilons qui préparent la filasse pour la fabrication du papier. Chaque bras de levier est armé à son extrémité d’une