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Messaoud ; quand il parlait, on reconnaissait, pour emprunter à la Grassini ce mot qui excitait la gaieté du glorieux exilé de Sainte-Hélène, « qu’il aurait pu être décoré pour sa blessure. » Du reste, comme Aïsha Rosa, Messaoud savait un peu de français. Osman-Pacha l’avait emmené autrefois à Paris, où il lui avait servi de majordome. C’était un serviteur intelligent, sans préjugés, capable, suivant la fantaisie ou l’intérêt de son maître, de jouer également le rôle de duègne ou le rôle tout opposé. Il salua Claresford avec le sourire discret d’un homme qui veut découvrir l’une après l’autre les instructions dont on l’a chargé. Il lui fit traverser un jardin obscur dont le fond était illuminé par une façade resplendissante. On eût dit qu’il l’avait une grande fête dans cette maison pleine de lumière. Toutes les pièces ouvertes à Claresford étaient remplies de fleurs et éclairées par toutes les machines qui peuvent remplacer la lune ou les étoiles, lampes, candélabres, verres colorés de toute nuance et de toute façon. Seulement c’était dans ces appartemens lumineux une solitude complète. Claresford sentait ce charme mêlé d’un agréable effroi que nous offrent certains rêves éclos sous des souvenirs féeriques. Qui n’a erré pendant son sommeil dans de vastes salles parées, radieuses, qui semblent attendre des hôtes innombrables et que ne traverse pas une figure humaine ? Alors une épouvante dont on ne voudrait pas être affranchi, car elle est mêlée d’un espoir ardent et secret, s’empare de notre âme. Qui va animer ces lieux étranges ? qui remplira cette solitude magique ? Une chère morte peut-être, l’héroïne disparue de quelques amours lointains qui ont sombré dans le temps. La voilà en effet, c’est l’ombre, et votre bouche sent un baiser que vous chercheriez en vain sur toutes les lèvres vivantes. Claresford, en suivant son guide, avait un peu de ces pensées, moins idéales toutefois.

Il parvint à une vaste pièce dont les murs étaient revêtus de marbre, et dont les voûtes sculptées reposaient, malgré les défenses du Coran, sur des statues dues au oiseau inconnu de quelque artiste italien. Dans ce salon était dressée une table chargée de mets, entièrement dégagée d’un côté, et de l’autre s’appuyant à un divan qui semblait attendre un couple amoureux. Là, Messaoud s’inclina et disparut derrière une portière aux plis lourds et brodés. Claresford, resté seul, sentit s’élever au fond de son âme une musique qui semblait, comme dit Shakspeare, avoir passé par-dessus un parterre de violettes. Tel devait être l’agréable état de ces preux à qui des enchanteresses allaient faire commettre quelques délicieuses sottises. Tout à coup le rideau qui s’était baissé sur le corps chétif de Messaoud se souleva et laissa voir une apparition que le Cantique des Cantiques aurait seul été digne de saluer. Aïsha Rosa s’avançait dans tout l’attrayant éclat de la parure orientale. La douce magie des perles,