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plus d’un, plus d’une surtout, et je ne sais trop pourquoi je m’extasie. Méfiez-vous de la femme qui répand sur vos pieds sa chevelure : les plus idéales des larmes, comme celles de Madeleine, ont souvent d’étranges sources. Enfin, madame, la pauvre Turque n’avait rien à se reprocher : elle avait été prodigue de ses attraits comme le printemps des fleurs, le jour de la lumière, l’aurore de la rosée, à l’instant même où Claresford prit la résolution d’écrire une fois encore à la marquise Olympia.

Voici, je crois, à peu près ce qu’il lui disait : « Je ne voulais point vous répondre ; je voulais en appeler au temps contre mon amour : il l’avait dans votre dernière lettre tant de cruauté, de froideur et d’iniquité ! Mais c’était une folie que ce projet. Comment m’arracher à vous ! Écoutez-moi. J’ai fait une étrange découverte : je sais que vous êtes vraiment mon âme. Oui, ce mot si banal dans la bouche des amans, je puis, je dois vous l’adresser en lui donnant un sens en même temps mystérieux et certain comme les révélations de la foi. Cet être multiple que j’appelle moi se compose d’un amas d’existences régies par une puissance souveraine placée en dehors de mon corps, et cette puissance, c’est vous-même, Olympia. Aussi je mène une vie singulière, et le plus fantastique des contes n’a rien de comparable aux faits journaliers dont ma nature est le théâtre. Sans cesse au sein de tout ce que les choses humaines peu vent offrir de séductions, recevant dans tous mes sens les caresses de la verdure, des fleurs, du soleil, de ces statues vivantes que sont les femmes sans amours, je souffre, et je souffre à mille lieues du pays qu’habite mon enveloppe mortelle. Olympia, ne m’accusez point de folie. Tout cela est simple et se dit en un mot : je vous aime. Quand vous me traitez avec rigueur, quand vous méjugez avec sévérité, c’est de votre part la plus déraisonnable des injustices. Je pourrais vous dire comme la créature à Dieu : « Je suis ce que tu as voulu, ce que tu veux ; ôte-moi mes défauts s’ils te blessent ; dissipe mes ténèbres, emporte-moi dans ta clarté, j’y deviendrai l’être radieux que tu cherches. »

Ma foi, il ajoutait bien autre chose, et tout ce qu’il écrivait, il le sentait. Il était en ce moment possédé par son amour, comme nulle créature ici-bas ne le fut jamais par aucune puissance divine ou terrestre. Il avait écrit sa lettre dans un petit salon qui, par ses fenêtres entr’ouvertes, laissait entrer un jour déjà coloré des teintes rougissantes du soir. Était-il heureux ou malheureux ? Je n’en sais rien. Il éprouvait cette ivresse jugée avec tant de jalousie par ceux qui ne connaissent pas la grande vigne dont les rameaux pendent partout et sont accessibles à si peu. Tout à coup Aïsha entra, et, comme il cachetait sa lettre, se mit à jouer avec un médaillon qui était suspendu à son cou. Jamais la fille de l’Orient n’avait été si belle.