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mais, traité avec mépris, abandonné au ridicule et aux outrages, il en vint à se mépriser, à se délaisser lui-même, à feindre, comme il le dit plus tard, une stupidité qui pouvait le sauver, et il se plongea dans les amusemens grossiers du jeu et de l’ivrognerie. Des excès précoces altérèrent cette nature vigoureuse, et il fut atteint d’une sorte de maladie mentale intermittente. Il y eut chez tous les césars un principe maladif. Le premier était épileptique ; son neveu fut toujours valétudinaire ; une humeur acre ulcérait la face de Tibère ; Caligula était d’une pâleur étrange, dormait peu, avait constamment une sorte de transport au cerveau, et Néron donna des signes non équivoques de folie. Claude eut une disposition physique à l’imbécillité ; mais cette disposition ne triompha jamais d’une manière constante, elle fut toujours combattue par quelque chose de robuste dans l’intelligence. Cette intelligence était une ruine misérable, mais qui conservait de la grandeur. Claude fut à quelques égards un grotesque, et parfois un grotesque sanguinaire ; à quelques égards, il mérita une admiration mêlée de ridicule et de pitié. De la les contradictions que présente cette âme étouffée dans des organes appesantis et dépravés ; mais, comme le disait Auguste, ce fin connaisseur des hommes, « lorsque son esprit n’était pas absent, on retrouvait en lui une noblesse naturelle. »

Après avoir fait cette étude, que je crois vraie, sur le bizarre et malheureux Claude, on comprendra mieux sa nature, et l’on s’expliquera la beauté de ses portraits, où son âme, entravée et empêchée par une étoffe grossière, reluit sombre et triste. Cette âme se débat, pour ainsi dire, contre son enveloppe, et l’effort de cette lutte se trahit par la profonde mélancolie du regard, pareil à celui que devaient avoir ces génies des contes orientaux qu’une fée avait emprisonnés dans le corps d’une brute.

Claude, selon moi, n’était donc pas habituellement stupide, mais il avait de véritables absences. Il disait alors ce qu’il n’aurait point dû dire, oubliait ce qu’il avait ordonné de cruel, et semblait tout étonné et repentant quand il l’apprenait. Des absences, des éclipses complètes d’un esprit naturellement sain et droit, voilà Claude. Jamais il ne donna de ces défaillances intellectuelles une preuve plus manifeste que dans ses rapports avec Messaline. C’est son rôle d’époux qui a surtout rendu Claude ridicule aux yeux de ses contemporains et de la postérité ; jamais il n’y en eut de plus trompé et qui parut moins s’en apercevoir. Imaginez un pauvre savant absorbé par les antiquités étrusques, un pédant, car Claude l’était beaucoup, qui est le mari d’une coquine : ce côté de la vie de Claude a le plus frappé l’imagination du vulgaire, toujours avant tout sensible au ridicule. Quand on arrive aux écrivains des bas temps comme Aurélius