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Claude ne se souvînt du lit conjugal. Narcisse s’élance hors de la salle, et va dire aux centurions et au tribun qui étaient là : « Que la mort soit donnée, l’empereur le veut. » On leur joint l’affranchi Évodus pour inspecteur et surveillant. Le premier, il se rend en toute hâte aux jardins ; il trouve Messaline couchée par terre, et prés d’elle sa mère Lepida, qui, brouillée avec sa fille quand elle était puissante, avait été fléchie par ses dernières détresses, et en avait pitié. Elle l’exhortait à ne pas attendre l’exécuteur, lui disait que c’en était fait de la vie, qu’il ne fallait plus songer qu’à la dignité de la mort ; mais il n’y avait plus rien de noble dans cette âme que les vices avaient corrompue. Messaline pleurait et poussait d’inutiles gémissemens. Les portes s’ouvrirent avec fracas. Le tribun entra silencieux, l’affranchi s’emportant et raillant comme un esclave.

« Alors pour la première fois Messaline vit clair dans son sort ; elle prit le fer qu’on lui présentait, et, comme dans son tremblement elle l’approchait en vain de son col et de son sein, le tribun la perça de part en part. Son corps fut accordé à sa mère, et l’on annonça à Claude, pendant qu’il soupait, que Messaline était morte, sans dire si c’était de sa propre main ou d’une main étrangère. Il ne s’en informa point, demanda à boire, et acheva son repas comme à l’ordinaire. »

Voilà bien une de ces absences dont je parlais. Les jours qui suivirent la mort de Messaline, Claude parut plongé dans une léthargie intellectuelle, n’en parlant pas, n’ayant pas l’air d’y penser, et comme ayant oublié qu’elle avait existé. Le sénat aida à l’oubli de Claude en faisant disparaître de partout le nom de Messaline et ses images. Quelques-unes ont survécu cependant à cette proscription. Je ne saurais croire que les traits nobles et fins du buste de la galerie de Florence, qu’on dit être celui de Messaline, soient ressemblans. Il serait trop triste de penser que le vice le plus abject se trahit si peu. J’aime mieux voir Messaline dans un buste du Capitole, et qui représente une grosse commère sensuelle, aux traits bouffis, à l’air assez commun, mais qui pouvait plaire à Claude.

La partie de l’histoire de Claude qui se rapporte à cette femme est de nature à faire admettre tout ce que l’on a répété sur son défaut de bon sens ; mais on doit se souvenir qu’Il y a autre chose dans son histoire que les désordres de Messaline. Ce que Suétone a dit de son inégalité dans l’administration de la justice, on peut le dire de sa vie tout entière : « Variant sans cesse, tantôt plein de circonspection et de sagacité, tantôt sans réflexion et précipité, quelquefois puéril et semblable à un insensé. » Son esprit avait des momens lucides et même lumineux, puis se voilait de ténèbres.

Son mariage avec Agrippine fut une faiblesse de vieillard séduit