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le Jeune, qui avait lu l’insolente épitaphe, y revient dans deux de ses lettres, et montre, par le sénatus-consulte qu’il cite, l’incroyable abaissement du peuple romain. Ce document atteste que Pallas a refusé d’abord et qu’il s’est fait ordonner par l’empereur d’accepter l’hommage du sénat. Pallas, qui traitait ainsi le sénat romain, ne daignait jamais parler à ses esclaves, et ne leur communiquait ses volontés que par écrit. L’orgueil de Pallas, le faste de ses jardins et de ceux d’Épaphrodite, qui attestent la grande existence des affranchis, me fournissent l’occasion de signaler un trait caractéristique des mœurs romaines à cette époque et une condition des gouvernemens absolus à laquelle ils échappent rarement à la longue, l’omnipotence des favoris.

Suétone énumère plusieurs autres affranchis tout-puissans sous Claude : l’eunuque Possidès, auquel il accorda une distinction militaire ; Félix, qu’il fit gouverneur de Judée, et qu’on appelait le mari de trois reines ; Harpocras, qui fut comblé d’honneurs, et enfin Polybe, attaché au département des études impériales (a studiis). Sous un empereur érudit comme Claude, cette fonction n’était pas une sinécure. Polybe était un homme docte, car il avait traduit Homère en latin et Virgile en grec. Tacite, parlant de ces affranchis, dit que Claude fit leur pouvoir égal à celui des lois, ce qui n’était pas grand’chose, et à celui de l’empereur lui-même, ce qui était beaucoup plus.

En effet, on voit ces hommes conduire tous les événemens. Narcisse fut assez puissant pour perdre Messaline. Deux femmes se disputaient la main de Claude, Lollia Paulina et Agrippine. La première avait pour elle l’affranchi Calliste, la seconde, Pallas, à qui la superbe fille de Germanicus s’était livrée. La protégée de Pallas triompha grâce à lui. Pallas dicta le discours par lequel Claude vint annoncer au sénat qu’il déshéritait son fils Britannicus au profit du fils d’Agrippine. Néron, peu reconnaissant, priva de ses charges l’affranchi qui était comme le maître de l’état, velut arbitrum regni agebat, et finit par le faire mourir, parce que « sa vieillesse prolongée gardait trop longtemps ses immenses richesses. »

On croit lire des histoires du sérail. Le despotisme romain prend des allures orientales. Comme les sultans,.les empereurs écartent tous ceux à qui l’illustration de la naissance pourrait donner quelque importance et permettre quelque dignité personnelle ; ils s’entourent de fils d’esclaves que leur origine a préparés à être les instrumens nés de la tyrannie. Le sénat, qui subsistait encore à l’état de fantôme, car, dit Tacite, il restait sous Néron quelque image de la république, le sénat voulut faire une loi contre les affranchis, et priver de leur liberté ceux qui ne se montreraient pas dignes de la conserver.