Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 6.djvu/870

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

progressivement par l’extension toujours croissante de la demeure impériale, descendait dans la vallée que domine le Cœlius, et où les étangs de Néron remplissaient l’espace occupé depuis par le Colysée, remontait les pentes de l’Esquilin et allait toucher l’amer de Servius-Tullius, au-delà de Sainte-Marie-Majeure. C’est comme si, à Paris, elle eût couvert la montagne Sainte-Geneviève et se fût prolongée jusque vers les Invalides.

À l’entrée, du côté du Forum, était placé ce colosse de Néron qui, transporté plus tard devant l’amphithéâtre, lui a donné son nom. Le colosse avait cent vingt pieds. Suétone parle d’un portique immense. « Les étangs, ajoute-t-il, étaient comme une mer entourée d’édifices, qui semblaient former une ville. Il l’avait des champs de blé, des vignes, des pâturages, des forêts remplies de toute sorte d’animaux domestiques et de bêtes sauvages. » — « La maison de Néron, dit Martial, touchait à tous les points de la ville. » Et Pline l’Ancien, renchérissant encore, affirme qu’elle enveloppait Rome tout entière. Pline le Jeune loue Trajan de n’avoir pas, comme Néron de possédant les propriétaires, fait entrer dans son habitation lacs, bois sacrés, forêts. Pour sortir des exagérations poétiques et oratoires, ce qu’on appelait la Maison-Dorée de Néron avait, selon Nibby, trois milles et demi de tour, plus d’une de nos lieues, et couvrait un es pace de dix millions de pieds carrés. On conçoit que cette extension de la demeure impériale ait donné lieu à un plaisant du temps de faire deux vers dont voici le sens : « Rome ne sera plus qu’une maison. Allez à Veies, ô Romains, si Veies déjà ne fait partie de cette maison. »

Néron n’arriva pas tout d’abord à ce gigantesque résultat ; sa première demeure ayant brûlé dans l’incendie que lui-même avait très-probablement allumé, et qui consuma une partie de la ville, il se bâtit un second palais. L’or, qui l’était partout prodigué, fit donner à celui-ci le nom de Maison-Dorée. Néron se servit, pour la construire, des ruines de sa patrie, dit sévèrement Tacite, dont la vive description nous permet parfaitement de suivre la marche de l’incendie. L’incendie commença dans cette partie du cirque qui touchait au Palatin et au Cœlius, du côté de Saint-Grégoire ; poussée par un vent violent qui s’engouffrait dans le cirque, la flamme en suivit rapidement la longueur. Il y avait là des boutiques comme il y en avait aux abords des théâtres et de tous les lieux où les Romains se réunissaient en grand nombre. Ces boutiques contenaient des matières inflammables qui alimentèrent le feu. Ravageant d’abord les lieux bas, le feu gagna les hauteurs, puis redescendit dans la plaine. Des quatorze quartiers de Rome qu’on appelait régions, quatre seulement furent épargnés, trois furent détruits, sept presque entièrement