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la main. Un joueur de lyre était à côté de lui. Il traversa ainsi le Cirque, suivi de soldats, de chevaliers et de sénateurs, et monta au Capitole. Toute la ville était illuminée. Les sénateurs criaient : « Bravo, vainqueur olympique ! bravo, vainqueur pythien ! Auguste ! Auguste ! à Néron Hercule ! à Néron Apollon ! Voix sacrée, heureux ceux qui t’entendent ! » Néron fit porter ses couronnes dans le cirque, et les fit placer sur le grand obélisque. Il y en avait plus de mille. Cet obélisque est celui qui s’élève aujourd’hui sur la Place du Peuple, et dont les hiéroglyphes racontent les conquêtes de Sésostris. Il devait porter les ridicules trophées de Néron !

Ce que Néron construisait ne lui suffisait pas, il prenait possession des constructions antérieures à lui. Non content d’avoir creusé un lac dans la Maison-Dorée, il fit servir à la somptuosité extravagante de ses fêtes obscènes un bassin qu’Agrippa avait consacré à l’utilité publique. La dépression que le lit de ce bassin a laissée dans le sol paraît avoir donné à l’église de Saint-André son nom de Sant’Andrea della Valle. Là un festin fut préparé sur un grand bateau que d’autres bateaux remorquaient. Les rameurs étaient des infâmes. Le bassin était bordé de mauvais lieux remplis de dames romaines. On peut voir dans les historiens ce qui se passa quand vint la nuit, et que les arbres et les toits voisins retentirent de mille chants et brillèrent de mille feux. Le contraste est grand entre une église et le lac théâtre de cette orgie. Il ne l’est pas moins entre les voluptés dont la villa de Néron à Subiaco dut être témoin et les austérités de saint Benoît, qui ont rendu ce lieu célèbre.

Néron, qui prétendait être un connaisseur en matière d’art, devait prétendre aussi à savoir apprécier les beautés romantiques de la nature. En effet, il s’était fait bâtir une villa dont quelques ruines subsistent encore dans une contrée chère aux paysagistes, à Subiaco. Ce nom même rappelle le voisinage de la villa de Néron ; il vient de sublacum (sous le lac), le lac artificiel de la villa impériale. Ce lac a disparu, et il n’en reste que le nom de Subiaco. Avoir une villa dans les montagnes du pays des AEques, c’était pour Néron ce que serait pour un moderne la fantaisie d’un chalet en Suisse.

Mais tandis qu’il allait de ses palais à ses villas et du cirque au théâtre, se formait le soulèvement qui devait le renverser. À Subiaco, un éclair brisa la coupe dans sa main et renversa la table du festin. C’était un avertissement.

Le soulèvement vint de la Gaule, que les exactions de Néron avaient irritée. On dit beaucoup que l’empire traitait les provinces avec plus de douceur que la république ; mais ce bien-être prétendu qu’elles durent à l’empire est énergiquement démenti par l’histoire et par les témoignages contemporains. Suétone nous montre Néron