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n’en trouve pas, et s’élance hors du palais avec l’intention d’aller se précipiter dans le Tibre. Il dut sortir par une porte de derrière du palais et traverser une partie de ce cirque témoin de ses honteux triomphes. Qu’éprouva-t-il en passant sous la loge impériale, en marchant à travers les ténèbres dans ce lieu qu’il avait vu tant de fois si rempli d’hommes et de bruit, et qui maintenant était si vide et si muet ? Changeant d’avis et voulant gagner du temps pour tâcher de se résoudre à mourir, il se laissa entraîner, par son affranchi Phaon, dans une villa voisine de Rome. Il fallait traverser une partie de la ville, de cette ville qu’il avait brûlée, et où dans chaque maison on faisait des vœux pour sa mort. Suivons-le du Grand-Cirque à la porte Nomentane (aujourd’hui la porte Pie), par laquelle il va s’échapper de Rome. Quel spectacle I Néron, accoutumé à toutes les recherches de la volupté, s’avance à cheval, les pieds nus, en chemise, couvert d’un vieux manteau dont la couleur était passée, un mouchoir sur le visage. Quatre personnes seulement l’accompagnent ; parmi elles est ce Sporus, que dans un jour d’indicible folie il avait publiquement épousé. Il sent la terre trembler, il voit des éclairs au ciel ; Néron a peur. Tous ceux qu’il a fait mourir lui apparaissent et semblent se précipiter sur lui. Nous voici à la porte Nomentane, qui touche au camp des prétoriens. Néron reconnaît ce lieu où, Il y a quinze, ans, suivant alors le chemin qu’il vient de suivre, il est venu se faire reconnaître empereur par les prétoriens. En passant sous les murs de leur camp, vers lequel son destin le ramène, il les entend former des vœux pour Galba et lancer des imprécations contre lui. Un passant lui dit : « Voilà des gens qui cherchent Néron. » Son cheval se cabre au milieu de la route : c’est qu’il a flairé un cadavre. Le mouchoir qui couvrait son visage tombe ; un prétorien qui se trouvait la le ramasse et le rend à l’empereur, qu’il salue par son nom. À chacun de ces incidens son effroi redouble. Enfin il est arrivé à un petit chemin qui s’ouvre à notre gauche, dans la direction de la voie Salara, parallèle à la voie Nomentane. C’est entre ces deux voies qu’était la villa de Phaon, à quatre milles de Rome. Pour l’atteindre, Néron, qui a mis pied à terre, s’enfonce à travers un fourré d’épines et un champ de roseaux comme il s’en trouve tant dans la campagne de Rome ; il a peine à s’y frayer un chemin ; il arrive ainsi au mur de derrière de la villa. Près de là était un de ces antres creusés pour l’extraction du sable volcanique, appelé pouzzolane, tels qu’on en voit encore de ce côté ; Phaon engagé le fugitif à s’y cacher ; il refuse. On fait un trou dans la muraille de la villa par où il pénètre, marchant à quatre pieds, dans l’intérieur. Il entre dans une petite salle et se couche sur un lit formé d’un méchant matelas sur lequel on avait jeté un vieux manteau. Ceux qui l’entourent