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substitué en 1846, l’Angleterre obtenait ce double avantage, d’entourer de sécurité les intérêts de ses nationaux engagés dans ces îles, et d’écarter la concurrence des puissances maritimes qui, un jour ou l’autre, auraient pu être tentées de s’en emparer. Elle obtenait encore cet avantage, de ne point se montrer usurpatrice à l’américaine et de substituer à une prise de possession violente une lente assimilation. Avant l’invasion des Américains, les Anglais étaient donc le seul peuple qui eût des intérêts sérieux dans ces îles, où la France n’était guère représentée que par ses consuls résidens, quelques pauvres missionnaires catholiques et les équipages de sa station navale. Les Anglais au contraire ont mis leurs nationaux dans les conseils du roi, tiennent une grande partie des postes de l’état, et sont représentés par une population nombreuse de colons, de planteurs et de négocians. Dans de telles conditions, la déclaration d’indépendance des îles Sandwich n’a pas coûté à l’Angleterre, il faut l’avouer, un bien grand effort d’humanité. Un fait d’ailleurs en dit plus que toutes les considérations : si, comme il est très permis de le supposer, la race indigène vient à s’éteindre dans ces îles, quelle sera la population qui lui succédera, et alors de quel gouvernement les îles relèveront-elles ?

Telle est l’influence anglaise : secondée par l’action commerciale, colonisatrice de ses citoyens, elle équivaut à une conquête. Il en est tout autrement de la France, où le gouvernement est obligé d’agir seul, sans le concours des citoyens. Les déclarations d’indépendance lui coûtent beaucoup plus, et équivaudraient pour elle, dans bien des cas, à la perte de son influence. Nous faisons cette observation parce que M. Hill, selon l’usage beaucoup trop général de ses compatriotes, a cru devoir nous donner des conseils au sujet de l’occupation d’Otahiti. Il déplore que cette île soit placée sous un gouvernement militaire, que l’indépendance des Otahitiens ne soit que nominale, que le port d’Otahiti soit soumis à des règlemens vexatoires. Il nous recommande de suivre la ligne de conduite adoptée à l’égard des îles Sandwich, et de reconnaître l’indépendance d’Otahiti. Autant vaudrait nous recommander de céder à l’Angleterre nos droits et notre influence. M. Hill le sent bien ; aussi, comme consolation, il nous montre les îles encore inoccupées de l’Océan qui pourraient nous fournir un théâtre d’action en remplacement de celui que nous aurions perdu. C’est réellement trop de bonté ! Si nous avions déjà à Otahiti une nombreuse population de colons et de marchands ; si nos compatriotes, au lieu de représenter officiellement la France et de faire partie d’une garnison française, représentaient au contraire Otahiti au profit de la France et tenaient entre leurs mains les plus petits postes de l’état ; si nos missionnaires étaient aussi nombreux que les missionnaires de la riche église