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obéissance tout à fait exemplaire les leçons de leur complaisante mère la nature, se faisaient la guerre, et parfois, dans les jours de victoire ou de réjouissances nationales, s’asseyaient autour d’un banquet composé de rôtis humains. Malgré ce cannibalisme, ils avaient les habitudes les plus gaies et la même facilité de vivre que possèdent les oiseaux. Les tourmens de la morale leur étaient inconnus. Télémaque, dans Homère, déclare sentencieusement qu’il est difficile de connaître son père ; mais aux îles Sandwich, cette difficulté étant transformée par le fait des mœurs en impossibilité absolue, le rang était déterminé par la qualité de la mère. Toutes les variétés d’union entre les sexes étaient également légales aux îles Sandwich : monogamie, bigamie, polygamie, mariages libres, unions aux rapides divorces. La condition des femmes n’était pas précisément agréable ; elles n’avaient sur l’homme aucun moyen de domination, la jalousie étant inconnue à ces populations. Les femmes étaient des objets d’hospitalité pour les visiteurs de la cabane ; c’eût été blesser les sentimens les plus délicats de ses hôtes que de les considérer autrement. L’institution religieuse du tabou (interdiction de certains objets et de certains actes de la vie par ordre des prêtres) existait dans ces îles, et pesait particulièrement sur les femmes avec une terrible tyrannie. Tout leur était interdit par leurs maris ou leurs frères : l’appartement des hommes, la table de famille, la nourriture délicate. Défense, sous peine de châtimens sévères, de toucher à de certaines friandises, telles que les viandes de porc et de tortue, les fruits du bananier et du cocotier. L’infanticide était en honneur dans ces îles et s’élevait presque à la hauteur d’une institution. Quant au gouvernement, il réalisait l’idéal que quelques philosophes attribuent aux populations slaves, celui d’un roi qui, sans s’astreindre aux pédantesques formalités des traditions et des lois, gouvernerait spontanément et d’après ses inspirations intimes. Le roi décrétait selon son plaisir des massacres et des guerres. Un fait assez singulier, c’est que non-seulement le rang et la condition, mais les fonctions individuelles étaient héréditaires ; ainsi les bardes et les poètes chargés de chanter les victoires des rois, les orateurs chargés d’aller haranguer les ennemis ou les alliés des rois, exerçaient leurs fonctions par droit d’hérédité. Telles étaient les mœurs pittoresques et fortement colorées des habitans des îles Sandwich jusqu’au jour où les missionnaires vinrent ouvrir parmi eux des cours de morale qu’ils ont écoutés, on peut le dire à leur louange, avec autant de soumission qu’ils écoutaient auparavant les leçons de la nature.

L’histoire des îles, depuis cette découverte, consiste tout entière dans les progrès de la civilisation sous l’influence toute-puissante de l’Angleterre. Toutefois cette œuvre bienfaisante a été puissamment aidée par l’action d’un homme singulier, le roi Kamehameha Ier,